So It Goes

Ratking

XL Recordings – 2014
par Aurélien, le 2 mai 2014
8

Ratking profite du même buzz que Die Antwoord ou Death Grips en leur temps: on a ici le sentiment de tenir une musique à la fois extrême et brouillonne sur laquelle tout le monde cherche à imposer son avis, histoire d'avoir le dernier mot sur une hype un peu sortie de nulle part. Du pain béni pour le piètre rédacteur que je suis, qui n'a dernièrement fait que tendre le bâton pour se faire battre en imposant sa note à des projets très attendus – mes plus sincères excuses à Pharrell Williams, c'est sans rancune. C'est donc probablement un peu maso, mais j'ai voulu récidiver en ciblant cette fois ma petite vindicte sur les quatre jeunots de Ratking, un groupe dans lequel je n'ai jamais rien vu d'autre qu'un ersatz un peu quelconque d'El-P rappé par des sous-Foreign Beggars. Enfin, ça c'était avant.

Mais j'admets avoir eu raison sur au moins un point: il y a tout énormément du passé d'un label comme Definitive Jux dans la musique de ces jeunes new-yorkais. Ne serait-ce que dans leur volonté d'offrir une vision plus alternative, plus abstract, du rap. Mais il serait trop douloureux de s'arrêter à ce constat tant So It Goes est un disque au bon goût de violences urbaines, toutes contenues dans un habillage qui ne ressemble ni à de la trap, ni au boom-bap, ni à de la juke, mais qui s'empare de chaque BPM pour se l'approprier et le détourner. Et les écoutes au casque ne mentent pas: les contours de ce premier album sont extrêmement flous, chelous et brouillons. Mais c'est probablement que la came qu'ils y distillent est trop bonne pour les moyens dont ils disposent encore. On est en effet face à un disque qui frôle les quinze bonnes idées par minute, mais pêche un peu par excès de spontaneité. Heureusement, le voyage est d'une contagieuse animalité : les gusses chantent, hurlent et virent spoken-word, mais imposent toujours avec brio leur phrasés nasillards sur des productions souvent casse-gueules. A l'arrivée, cette intensité de tous les instants a les défauts de ses qualités, Si elle accouche de coups de tonnerre footwork comme sur l'intense "Protein" ou le flottant "Snow Beach", ça manque un peu de parenthèses plus aériennes (façon de parler). Car dans ce registre, Ratking sait y faire, à l'instar de l'imparable "So Sick Stories" avec un King Krule flamboyant au refrain, ou encore un "Take" final parfaite pour boucler So It Goes.

Les produits trop ambitieux pour leurs intentions, j'y vois souvent une qualité souvent plus qu'un défaut. Et dans le cas de Ratking, s'il y a énormément de déséquilibre dans le fil narratif, il en ressort une empreinte, quelque chose de nucléaire et bouillant. Un disque qui va diviser, mais qui ne laisse pas indifférent. En fait on tient ici la rencontre impromptue entre le rap du Queens et la dance music de Chicago: on ne s'y reconnaît pas toujours, on ne sait pas exactement sur quel pied danser, mais la violence et l'énergie du truc fait passer la pillule. Et vu les ravages occasionnés, on ne peut que se permettre de croire que la clique saura affiner son art avec l'élégance des grands, bien planquée entre Machinedrum et The Bug. Pour l'heure en tout cas, So It Goes sonne probablement comme la plus chouette curiosité de ce début d'année 2014.

Le goût des autres :