Cancer For The Cure

El-P

Fat Possum – 2012
par Jeff, le 21 mai 2012
8

A une époque où le hip hop américain semble penser que le meilleur moyen d’exister (ou de ne pas mourir) est d’occuper l’espace jusqu’à la nausée, El-P fait figure de saine exception. En même temps, le producteur de Brooklyn n’a jamais vraiment respecté les codes en vigueur, préférant tracer sa voie d’une manière si singulière que son style est vite devenu emblématique d’une certaine vision du rap indé, sombre et oppressante, et incarnée par le classique Funcrusher Plus de Company Flow ou ses albums solo, Fantastic Damage et I’ll Sleep When You’re Dead en tête.

Généreux dans l’effort quand il le veut bien, El-Producto nous a quand même laissé macérer dans notre jus pendant cinq bonnes années avant de daigner donner de ses nouvelles. Heureusement, avec Cancer For Cure, on lui pardonne  rapidement d'avoir disparu pendant si longtemps de nos radars.

En effet, si vous aviez déjà été les victimes consentantes des coups de massue assénés par I'll Sleep When You're Dead, vous risquez fort de virer complètement maso sur Cancer for Cure. Il faut dire que la situation politico-sociale n'a pas vraiment évolué en cinq ans outre-Atlantique, et que El-P trouve dans la sinistrose ambiante suffisamment de carburant pour faire tourner la machine à plein régime sur un disque entier, au propre comme au figuré. Et le fait que la vieille Europe soit elle aussi dans la mouise jusqu'au cou rend l'écoute de cet album d'autant plus pertinente.

Difficile de ne pas voir dans ce flow agressif et ces beats martiaux l'expression d'un sentiment de révolte et de trop-plein qui a pris le temps d'amplifier pour aujourd'hui exploser à la face d'un auditeur piégé dans l'étau manié avec une précision chirurgicale par El-P dès l'introductif "Request Denied". Le reste du disque n'est alors plus qu’une longue tirade empreinte d’amertume et rythmée par le flow revanchard d’un El-P qui prend un malin plaisir à explorer les recoins les plus sombres de notre âme en compagnie de quelques guests triés sur le volet, à l’image des survoltés Danny Brown et Killer Mike.

Parce qu’un disque d’El-P ne se situe pas vraiment au niveau de la solution mais nous fout plutôt le nez dans les problèmes sans la moindre complaisance, Cancer For Cure n’est certainement pas le genre de galette qui s’écoute dans la joie et la bonne humeur. Mais comme d’habitude avec l’Américain, on réalise combien ce genre d'exercice se révèle jouissif et salutaire. Aussi, si Cancer for Cure n’est certainement pas un disque de saison, c’est clairement un disque qui ressemble à s’y méprendre à son époque. De là à dire que c’est une bonne chose, il y a de la marge.

Le goût des autres :