RAMONA PARK BROKE MY HEART

Vince Staples

Blacksmith Records – 2022
par Jeff, le 18 avril 2022
5

L’air de rien, cela va faire douze ans que l’on a fait la connaissance de Vince Staples, à la faveur d’une apparition remarquée sur la première mixtape d’Earl Sweatshirt – c’était sur « epaR ». Et si le natif de Long Beach n’a jamais été vraiment absent de nos radars depuis, sa discrétion a été assez remarquable à l’échelle d’un hip-hop qui a fait de la surexposition un atout parfois plus redoutable que les qualités qui portent un projet.

De trop rares interviews, des réseaux sociaux anémiques et une présence discrètes sur le circuit du live. En somme, Vince Staples laisse son œuvre parler pour lui et il a bien raison : que ce soit sur le format mixtape, EP ou album, c'est l'une des plus solides du rap US. Solide, mais variée également : les vicissitudes d’un quotidien semé d’embuches dans l'un des coins les plus criminogènes des États-Unis, il a su nous les conter en prenant soin de ne jamais figer la forme. Et la liste des producteurs qui l’ont accompagné donne une petite idée de la fascination qu’il suscite comme de ses pouvoirs de caméléon: Mac Miller, NO I.D., SOPHIE, Evidence ou Kenny Beats, pour ne citer que les plus (re)connus.

Si cette envie de mutation permanente a été un puissant carburant pour Vince Staples, ces deux dernières années ont été l’occasion pour lui de chercher une forme d’apaisement dans la façon dont il articule un propos qui, ne nous méprenons pas, reste souvent sinistre et dur. Ainsi, même s’il ne quitte jamais son tabouret, il faut voir le plaisir que lui et son groupe semblent prendre lors de ce Tiny Desk (Home) Concert ; ces dix grosses minutes suffisent alors à nous convaincre que Vince Staples cherche encore et toujours « autre chose ».

Et sur ce nouveau disque, cela passe par un retour à ses racines californiennes : si ses textes ne s’en sont jamais départis, il y a dans le choix des productions une volonté de faire vivre dans sa musique le Golden State. La manifestation la plus évidente de cette politique, ce sont les deux productions qu’offre DJ Mustard à Vince Staples, aussi souples et bondissantes que les amortisseurs d’un lowrider. Si cette envie de mettre sa terre natale à l’honneur est louable, elle bute sur le même obstacle que sur son précédent album : l’impression que le rappeur ne se donne jamais les moyens d’aller jusqu’au bout de sa logique, d'en faire plus que le strict nécessaire. D'ailleurs, on sent rarement Vince Staples en pleine possession de ses moyens, comme s'il découvrait les productions en même temps que nous – alors qu’il a souvent été l’incarnation de cette main de fer dans un gant de velours qui giflait le rap US avec un rictus sadique, lui lacérant le visage. Cela donne des morceaux qui auraient pu être bons, mais se révèlent parfaitement anodins, et nous laissent avec l’impression très désagréable que l'Américain gesticule beaucoup pour pas grand-chose – même un hook de Ty Dolla $ign ne suffit pas à sortir un titre comme « LEMONADE » de l’ornière, c’est dire.

En fait, c’est quand il arrête de se cacher derrière le soleil californien que Vince Staples est le plus convaincant, le plus touchant aussi : « WHEN SPARKS FLY », « PLAYER WAYS » ou « ROSE STREET » sont autant de pistes que le MC serait bien inspiré de suivre. Il y a dans ce rap sincèrement désabusé des fulgurances qui renvoient à sa supériorité d'antan, et une vulnérabilité qui nous évoque les grandes choses dont a été capable un Dave sur We Are All Alone In This Together l’année dernière. Ces sommets qu’a su atteindre l'Anglais, il nous tarde que Vince Staples les retrouve, car ça nous fait très mal de voir l’un des rappeurs les plus doués de ces 10 dernières années errer dans le ventre mou du hit-parade de nos cœurs.

Le goût des autres :