"Au DD", ou la victoire de la communication sur la musique

par Aurélien, le 25 mars 2019
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Vendredi soir, PNL a mis fin à un silence long de plusieurs mois avec la mise en ligne de "Au DD", le single qui annonce leur quatrième album. Et sans surprise, c'est un nouveau carton : avec 15 millions de vues en un week-end sur YouTube, tout le monde a pu se faire son avis sur le dernier clip des deux rappeurs essonniens. Une réponse à la hauteur des moyens considérables mobilisés pour ce nouveau clip - on parle ici d'une réalisation à 160.000 euros, autant dire un minimum syndical quand on veut filmer son spleen tout en haut de la tour Eiffel.

À l'heure où la "pop urbaine" explose tous les records, PNL construit sa mythologie avec le soutien des divers supports à leur disposition. L'idée est simple : tisser une œuvre totale dans laquelle la musique seule ne suffit plus, en profitant d'un réseau important de médias pour arriver à leurs fins. Une idée finalement assez proche de la communication chaotique qui a entouré la sortie de The Life Of Pablo de Kanye West. Un disque qui, avant sa sortie, avait su se raconter a travers des rants et des one liners sur Twitter, mais avait également fait parler de lui pour sa release party délirante au Madison Square Garden, sa sortie mainte fois retardée, et ses retouches plusieurs semaines après la sortie officielle du disque. En un mot comme en cent : la communication fait partie intégrante de l'œuvre qu'elle annonce, et n'est plus un simple élément de promotion. Car à l'arrivée, il faut le rappeler, une bonne promo est une promo qui ne se voit pas - pensez "Octogone".

En France justement, on trouve quelques champions dans cette catégorie. Prenons cette interview lunaire de Kekra par Viceland : en donnant l'impression de ne rien avoir à vendre, l'Altoséquanais démontre par l'absurde qu'il se vend mieux que n'importe qui, ressuscitant au passage la légendaire figure du rappeur super héros disparue en même temps que le G-Unit ou les Diplomats. Bref, dans une industrie qui évolue très vite, PNL a fait des émules, et a partagé avec toute une génération de rappeurs les codes d'une nouvelle manière de communiquer, en gérant l'espace médiatique, en triant sur le volet les médias, et se faisant rare pour mieux créer de la demande.

Et c'est là qu'on touche à un point assez crucial : à force de se vouloir bigger than music, on se demande si la grande perdante, ce n'est pas la musique elle-même. Reléguée au second plan, elle ne profite guère d'une montée de fièvre orchestrée qui altère la faculté d'analyse critique réelle - pas étonnant que dans le cas d'espèce, on ait autant parlé des lainages Moncler et de la veste pensée par Virgil Abloh que de la musique. Pire encore : à une époque où le moindre quidam est équipé d'une webcam et d'un micro, il est devenu extrêmement simple de faire de l'audience sur le dos de ce buzz, en alimentant les serveurs de réactions à chaud qui ne valent rien ou de thèses insipides - tout cela dans un grand ballet de vases communicants qui renvoie inévitablement au clip des deux compères. Tout pour mieux faire oublier que "Au DD" est un morceau de PNL dans la pure tradition du tandem, avec un packaging béton mais une prise de risque proche du néant et une formule qui évite bien soigneusement de sortir de sa zone de confort. 

Mais qu'on ne s'y trompe pas, on est comme tout le monde : très contents de retrouver les deux frangins des Tarterets, et impatients d'écouter leur nouvel album le 4 avril prochain. Mais cette excitation ne doit pas nous empêcher de penser que PNL peine à se réinventer, ce qu'on avait déjà évoqué à la sortie de Le Monde Chico et Dans La Légende. En définitive, au-delà d'un talent réel pour une certaine forme de rap, la vraie force de PNL réside dans la communication, et la maîtrise parfaite des codes des réseaux sociaux. Et c'est un peu regrettable, d'autant que "91's", leur précédent single paru l'été dernier sans effet d'annonce, parvenait à casser cette routine et donnait l'impression qu'Ademo et N.O.S étaient devenus autre chose qu'une grosse coquille vide.

Une façon pour nous de dire qu'on s'attend à tout et n'importe quoi sur ce quatrième disque. Même si la vraie surprise, ce serait que la musique et l'audace reviennent enfin au centre de l'équation.