Dossier

Digestion lente #10 : MIKE - War In My Pen

par Aurélien, le 8 février 2019

Face à une actualité dictée par la frénésie de nos timelines et les avis définitifs de moins de 140 caractères, Digestion lente prend une bonne dose de recul et revient plusieurs mois après leur sortie sur ces disques qui ont fait l'actualité (ou pas). 

L’histoire de MIKE est d’une banalité affligeante au regard des destins incroyables qui ont bâti la mythologie du rap : c'est celle d’un artiste méconnu qui, à la faveur d'une fanbase bienveillante, voit son influence déborder sur un autre gars bien installé, qui en retour lui offre de l'exposition. Sur Some Rap Songs, Earl Sweatshirt n’a en effet pas caché l’influence du New Yorkais sur son disque, et encore moins l’amitié qui les lie depuis qu'il l'a découvert sur Bandcamp. C'est grâce à lui si ce troisième album renvoie une image infiniment plus juste de la personne que veut désormais devenir Thebe Kgotsitsile depuis la fin de Odd Future et la longue traversée du désert qui a suivi I Don’t Like Shit, I Don’t Go Outside.

MIKE partage au moins un point en commun avec Earl Sweatshirt : celui d’avoir longtemps été confronté à la dépression. Il en parle d'ailleurs assez librement dans les rares interviews qu'il donne : après une enfance qui se joue entre Londres et les banlieues de NY, Michael Bonema se retrouve baladé entre sa tante et son père, sa mère étant renvoyée dans son Nigéria natal pour des soucis de papiers. Privé de figure maternelle et enclin à une certaine agressivité à l'adolescence, il se met à la musique en 2015 sans autres réelles attentes qu’avoir un espace de création pour se vider la tête, un poster de King Krule et un autre de MF Doom sur les murs de sa chambre. Deux influences majeures sur lesquelles il est d'ailleurs difficile de faire l'impasse, tant elles incarnent une caisse de résonance pour la musique de MIKE.

En mettant des mots sur ses maux, Michael Bonema s'est assagi. Mieux encore, il a enfoui ses démons dans des disques labyrinthiques et les convoque dans une musique aux airs de vieille VHS abimée : tout est parasité, la bande est étouffée par le poids de ses images, et les couleurs semblent cramoisies. Avare en refrains, MIKE fait ployer ses samples sous des lyrics à la limite de l'intelligible, de telle sorte que l’instrumental et la voix forment un tout. Un tourbillon de noirceur plein de boucles torturées qui semblent raconter une histoire à l'envers. C'est d'ailleurs la répétition de ces boucles malades qui prend des allures d'apaisante ritournelle pour MIKE, qui pense son disque comme un confessionnal.

War In My Pen, dernier né d’une longue série de disques parus l’année passée, est son disque le plus abouti à ce jour : plus extrême que ce qu'on entend chez Griselda malgré sa patte old school, le disque fait la part belle à une narration extrêmement syncopée. Si les morceaux sont courts – entre une et trois minutes, rarement plus – ils forment une jungle épaisse que traverse un maître de cérémonie qui a tout le loisir de se livrer, souvent avec une désarmante sincérité. Dense et hypnotique - on se surprend même à se souvenir du Person Pitch de Panda Bear -, War In My Pen propose trente minutes d'un rap unique en son genre. Une petite prouesse quand on sait que le New Yorkais assure également l'intégralité des productions de ce disque sous son alias dj blackpower.

Au final, on a le sentiment que l'année 2018 de MIKE signale l'entame d'un tout nouveau chapitre : celui d'un rap débarrassé de ses tabous et de sa pudeur, désireux de tracer une nouvelle voie loin des diktats d'un genre qui a pris des allures de pop de substitution. War In My Pen a valeur de porte d'entrée dans un univers sombre qui parlera autant aux amateurs de darronades façon Roc Marciano qu'aux nostalgiques d'OFWGKTA