The Line Is A Curve

Kae Tempest

American Recordings – 2022
par Camille, le 6 mai 2022
8

Au fur et à mesure des albums, on grandit avec Kae Tempest. Au contact de sa musique et de ses textes, on se souvient du passé, on repense aux erreurs sans essayer de les condamner, on porte un regard attentionné sur les choses qu’on a faites de travers et on apprécie la sagesse qui s’est installée depuis, tout en apportant une dose de patience pour le nous du futur. Parce que la ligne est une courbe, qu’il ne tient qu’à nous de faire onduler.

Kae Tempest, ce sont des vérités sur iel-même et surtout sur le monde, toujours sans détours, à nous en donner des sueurs froides tant la justesse peut faire écho en nous. Alors que The Book of Traps and Lessons résonne encore dans nos tempes, Kae vient ici poser un projet qui chronique notre vie contemporaine – en dressant des portraits crus aux traits finement rôdés (« No Prizes » avec Lianne La Havas) ou encore en condamnant la frénésie de nos vies modernes sur « Nothing to Prove ».

Après toutes ces années, il n’est pas trop de saluer le travail du producteur Dan Carey qui enrobe et complète toujours avec précision la force des émotions transmises par Kae Tempest; une musique juste, sur des mots justes. On se demande ce qu’il faut de plus, sincèrement, et cet album semble nous l’apporter sans même qu’on en ait formulé la demande : sur 12 titres, ce sont 5 collaborations qui viennent ajouter un vent de fraîcheur. Avec notamment Grian Chatten de Fontaines D.C. qui ouvre le bal sur un morceau au paraître étrangement doux et mélancolique (« I Saw Light »), ou encore Confucius MC sur « Smoking » (on regrette néanmoins qu’il n’y pose qu’un vers), semblant débuter par une note vocale envoyée par l'artiste à Dan Carey qui enrichit cette fable révoltée sur la relation parent-enfant d’un beat simple et efficace. 

Et même si parfois iel se glisse dans la peau de personnages plus violents, plus crus (« Move »), c’est pourtant une bienveillance face à l’adversité qui l’emporte sur des morceaux comme « Water in the Rain », accentuée par les choeurs d’Assia, ou encore « More Pressure » (avec Kevin Abstract), un avant-dernier morceau aux rythmes enjoués, presqu’insouciants : plus de pression, plus de soulagement… Impossible également de ne pas mentionner « Salt Coast », qui décrit son « histoire d’amour à cette île complexe, dévastatrice et profondément belle ». Dès les premières notes, on s’imagine conduire dans un soir brumeux d’automne sur les côtes anglaises, partageant ses pensées sur ces petites choses qui pourtant façonnent notre monde intérieur et ce qu’il en reflète à l’extérieur.

En épitaphe de cet album qui vient dégager la pluie et les tourments arrive le rayon de soleil « Grace ». Tout ce que l’on cherche dans cette vie, c’est d’arriver petit à petit en adéquation avec nous-même et d’ajuster nos histoires personnelles pour aligner le coeur et l’esprit, en constante mutation vers ce que l’on nomme épanouissement. Ce motto semble se refléter au travers des albums, de la carrière et de la vie personnelle de Kae Tempest, dont la prose touche nos cordes sensibles avec indulgence. « I can feel myself opening up, getting closer » – et on le lui souhaite. 

Le goût des autres :