Seu Jorge & Almaz

Seu Jorge & Almaz

Stones Throw – 2010
par Serge, le 28 octobre 2010
6

Âgé de 40 ans, Seu Jorge est une véritable star au Brésil, à la fois figure charismastique du renouveau de la samba et acteur dans des films plutôt percutants, tels le formidable Cidade de Deus (2002) ou encore le très badass Tropa de Elite 2 (2010). Sortant des disques depuis une dizaine d'années, il y est considéré comme un meneur du néo-tropicalisme, du nom de ce mouvement apparu sous la dictature militaire (1964-1985) et dont l'idée était de subvertir la musique populaire locale par des emprunts au psychédélisme anglo-américain et à l'utopie hippie. Malgré ce calibre imposant, en Europe et dans la sphère pop, Seu Jorge reste toutefois surtout connu pour son rôle de Pelé Dos Santos dans La Vie Aquatique de Steve Zissou, sorti en 2004 par Wes Anderson. C'est lui qui passe tout le film à chanter du David Bowie en portugais, sur une guitare à laquelle il manque visiblement quelques cordes. Un disque avait suivi, connaissant lui aussi un culte non négligeable.

Cette fois accompagné d'Almaz, un trio formé par un compositeur de musiques de films (Antonio Pinto) et deux pointures du jazz-rock brésilien, Seu Jorge revient cet automne aux reprises plus ou moins décalées. Si quand il s'attaquait à Bowie, c'était avec une volonté comique, ici, ça ne rit par contre plus du tout et le travail a tout de l'hommage à quelques monuments du répertoire populaire brésilien mais aussi de la soul américaine (Michael Jackson, Roy Ayers, Temptations...) et même du patrimonoine europop (Kraftwerk!!!). Résultat : un album plutôt funk et très parfumé de ganja, dont les meilleurs passages rappellent dans l'esprit les instrumentaux des Beastie Boys et d'autres envolées font par contre craindre le crash contre les murs de la variétoche la plus putassière et du jazz-rock le plus ramenard. Voilà bien un écueil habituel des musiques brésiliennes, dont la riche musicalité habituée aux grands écarts stylistiques et au surlignage de mélodies rend parfois nos oreilles occidentales réticentes, surtout si conditionnées au binaire techno, au poumtschak hip-hop et au gabba gabba rock and roll.

Bref, voilà bien un album qui est en soi exceptionnel, une mécanique bien huilée, des talents épanouis en action mais qui avant de finir dans un musée aura à se frotter au monde et là, c'est une autre paire de manches, voire même l'horreur totale. Il est en effet très prévisible et sans doute même inévitable que ce disque ne tombe très vite dans les griffes de Béatrice Ardisson, soit usé par Radio Nova et s'entende dans tous les bars à moules chauffées au safran de la planète (surtout la reprise de Kraftwerk, qui heavyrotate déjà pas mal...). Son destin, c'est de plaire mais aussi de faire fuir, de fatiguer vite et de se cogner au cynisme tout européen qui trouvera beaucoup à redire sur cette façon à la fois enthousiaste, globale et savante d'aborder la musique : un coup funky bien drogué, le suivant quand même très Nouvelle Star. C'est aussi ça le destin d'un disque à priori fédérateur : diviser parce que n'entrant dans aucune case autre que des clichés un peu cyniques, un peu racistes, un peu fatigués de 60 ans de marketing nous disant quoi et comment aimer. D'ailleurs, vous allez voir : certains vont affirmer qu'écouter ceci, c'est résister. Don't believe the hype : écouter ceci, c'est essayer autre chose, comme une nouvelle marque de yaourts. Après, c'est vous qui voyez...

Le goût des autres :
7 Soul Brotha