Oulipo Saliva

Angil & The Hiddntracks

Chemikal Underground – 2007
par Julien, le 17 avril 2009
8

La notion même d'actualité est relative, regardez : si nous avions attendu le printemps pour évoquer les derniers Yuksek ou Antony & The Johnsons, nous aurions paru drôlement en retard. Et aujourd'hui, c'est sans le moindre égarement que nos colonnes laissent une place à Angil & The Hiddntracks, dont l'album est pourtant sorti en 2007. C'est qu'il s'agit d'un disque tellement singulier qu'il n'a pas pu s'inscrire dans une temporalité trop rigide. Oulipo Saliva est en dehors des modes, donc. Il ne sent pas le réchauffé mais plutôt le petit plat expérimental qu'on ose tenter à ses amis, dont on a inventé la recette, qu'on n'a jamais goûté, et qui se pose comme un défi audacieux pour épater la galerie.

Il y a au départ une contrainte stylistique énorme : à la manière de George Perec pour sa "Disparition", Angil s'interdit toute utilisation du E. Avec le double sens qu'en musique, cette lettre est aussi une note, à savoir le Mi dans le système anglo-saxon. On a donc affaire à une musique trouée en son centre, à qui il manque sa voyelle de référence et une de ses notes essentielles. L'exercice de style en lipogramme est périlleux, ludique, mais je dois le dire, difficile à justifier. Quand Perec écrivait sans sa voyelle maîtresse, il dessinait les contours d'une béance : l'absence intolérable d'une mère déportée. Pour Angil on a du mal à saisir les aboutissants d'un tel projet : se prouver quelque chose ? Se sentir soi-même membre de l'Oulipo ?

S'il s'agit simplement de faire de la bonne musique autrement, c'est réussi ! Nous n'avons pas encore présenté Angil, il est  temps de le faire et de laisser la théorie de côté. Il s'agit d'un Stéphanois – surprise ! – signé sur le label écossais Chemikal Undergournd (Mogwai, Arab Strap, the Phantom Band). Auparavant, on l'a vu sévir lors d'un excellent album folk (Teaser for : Matter) et pour un non moins délectable projet à la Anticon avec le groupe B R OAD WAY. Cet Oulipo Saliva désire jouer des deux registres – jolies mélodies et phrasé lorgnant vers le hip-hop. The Hiddntracks sont quant à eux un collectif de jazz pouvant de loin rappeler les formations de Louis Sclavis. Ils offrent à Angil un superbe écrin, minimaliste, groovy et riches en cuivres. La cohésion d'ensemble est superbe et l'on se retrouve face à un disque qui, malgré un concept un brin snob, répond à toutes nos attentes de simple auditeur.

Les premiers titres de l'album sont les meilleurs. "Narrow Minds" est juste une chanson parfaite, mélodie sybilline et arrangements chaleureux à l'appui. "In Purdah", à la suite, emporte la mise avec son hip-hop soyeux et réjouissant. Le reste est plus oubliable mais tient la route sérieusement, grâce à un vrai charme d'ensemble. Si tout n'est pas à la hauteur des promesses laissées par les morceaux introductifs, on reste néanmoins au bord d'applaudir à chaque seconde. Parfois plus par respect que par emballement : on ne peut qu'encourager un artiste français à tracer des voies aussi étonnantes. Angil possède l'originalité, la liberté (il n'est même pas inscrit à la SACEM !) et la sensibilité pour le rendre incontournable. Incontournable et attachant.