Mr. Experience

Donny Benét

Dot Dash Recordings – 2020
par Jeff, le 3 juin 2020
6

On a tous des moments « mais que sont-ils devenus ? ». Et le retour des beaux jours est l’occasion de se demander ce que devient Chromeo, duo disco-funk canadien avec un gros faible pour la synth-pop et une certaine idée de la variétoche 80’s. C’est lui qui a été la caution fraîcheur de notre été 2007 avec Fancy Footwork et ses tubes en pagaille. Nous sommes 13 ans plus tard, et si Chromeo a disparu des radars, il continue de sortir des disques dont tout le monde semble se foutre – même les présences de A-Trak ou Raphael Saadiq n’ont pas empêché Head Over Heels de traverser l’été 2018 à la façon d’un souffre-douleur qui longe les murs de l’école.

2018, c’est aussi l'année où l’on a fait ici la connaissance de Donny Benét, improbable crooner qui, s’il partage avec Chromeo énormément de référents culturels, va puiser ailleurs son pouvoir d’attraction anormalement phénoménal. Car pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas l’Australien, c’est bien sa bouille qui occupe la pochette. Et le corps et le look sont à l’avenant. Donny Benét s’est ainsi donné pour objectif de nous séduire avec son personnage de dragueur qui propage dans des bars interlopes des volutes de Drakkar Noir, entrecoupant deux gorgées de Cinzano de one liners malaisants façon « Tu t’appelles Google ? Parce que tu es tout ce que je recherche ». Une tactique qui, contre toute attente, a marché du tonnerre sur The Don en 2018, et fonctionne encore plutôt bien sur Mr. Experience.

Il faut d’emblée souligner que si Donny Benét jouit d’un tel succès, c’est évidemment à la faveur du personnage qu’il incarne à tous les instants, mais aussi grâce à un talent certain pour pondre des titres extrêmement accrocheurs, qui nous mettent dans des états pas possibles, et flirtent toujours avec le mauvais goût sans jamais y être associé. Pourtant, entre les claviers poussiéreux, les solos de saxo qui sentent bon la brillantine, les hymnes pour cours d’aérobic, et les ballades bien mielleuses, on a parfois l'impression que Donny Benét ne se prive pas pour se mettre des bâtons dans les roues. Et c’est peut-être ce qui empêche Mr. Experience de taper dans le mile comme l’avait fait The Don en 2018.

À trop soigner sa formule, à trop chercher cette perfection qui semblait si naturelle sur son précédent album, Donny Benét lève un mur entre lui et son public, qu’il faudra déconstruire au fil d’écoutes qui révèleront notamment la justesse mélodique d’un disque qui ne manque pas de refrains qui vous colonisent le crâne –  « Moving On Up » ou « Girl of my Dreams », sur des tempos diamétralement opposés, en sont de bonnes illustrations. Mais à trop vouloir maîtriser son sujet, il se rapproche parfois dangereusement du pastiche ou de la caricature – passée le crush initial, on oublie vite des titres comme « Negroni Summer » ou « Second Dinner ».

Secrètement, on espérait que Mr. Experience soit notre plaisir absolument pas coupable de l’été 2020, celui qui emporte enfin les foules et légitime notre envie absolument pas légitime de porter des blazers saumons en écoutant du Falco ou du Pino D’Angio. Ce n’est que partie remise.

Le goût des autres :