Insurgentes

Steven Wilson

Kscope – 2009
par Julien, le 29 avril 2009
8

Même les pires pourritures ont eu des avocats : Maurice Papon, Klaus Barbie et les pédophiles autrichiens. Alors, pourquoi le rock progressif n'en aurait-il pas un lui aussi ? On lui fait son procès depuis grosso modo les années 80. Il serait donc temps de dire, ou de redire, qu'il existe pour lui une défense possible. Qui serait par exemple l'oeuvre si prolifique de Steven Wilson.

Celui-ci, depuis bientôt vingt ans, vampirise tout ce qu'il peut du genre pour lui redonner une noblesse. Avec Wilson pas de pitreries aux claviers, pas de démonstration technique qui vire à la farandole de lutins. Pas de concepts post-humanitaires et cybernétiques à rendre sérieuses les élucubrations new age. Pas non plus de voix au timbre douteux qui se permettent de chanter sur quatre octaves. L'oeuvre de Steven Wilson ne fait pas rire, pas du tout. Et elle n'assomme pas par sa rigueur ou sa prétention. Je pose toutes ces précautions pour asseoir des garde-fous : le disque dont nous parlons aujourd'hui s'adresse à tous et peut plaire à chacun.

Insurgentes est le premier disque en solo de Steven Wilson. Un album de synthèse, un Guide du routard en quelque sorte. Il s'agit d'une excellente introduction à celui que l'on connaît plus comme leader de Porcupine Tree, comme cerveau de No-Man ou Blackfield, comme producteur d'Opeth ou Anja Garbarek (la fille de Jan) ou comme électronicien avec Bass Communion ou IEM. Avec un spectre musical qui s'étend de l'ambient pur et dur au death metal, il aurait été difficile de se repérer dans un champ aussi vaste sans un album comme Insurgentes, pas génial en tant que tel, comme toute vulgarisation, mais suffisamment bon pour saisir une idée générale du projet.

Wilson a, pour dire vite, trois principaux champs d'actions : la pop (Beatles/Beach Boys/Radiohead), les musiques planantes (Pink Floyd/Brian Eno/Terje Rypdal/Gas) et les sonorités plus sombres et expérimentales (King Crimson/Can/Godspeed You! Black Emperor). Les dix titres d'Insurgentes illustrent tour à tour ces différentes facettes, avec comme fil rouge une voix effacée par une mélancolie pudique et une étrange impression de disque cloué dans le temps. On s'imagine sans mal une scène d'intense nostalgie : un vinyle qui crépite dans un salon tamisé et une bouteille de vin rouge entamée par un homme sans femme. Un parfum 70's à mille lieues des productions actuelles, et qui en même temps ne se veut jamais rétrograde. Je pense avec étonnement aux amateurs de Coldplay qui pourraient ici trouver leur plus grand bonheur avec un titre comme "Veneno Para Las Hadss". Ou d'autres qui pourraient apercevoir ça et là quelque chose de post-rock – les grands espaces de Pan American, Tortoise ou Bark Psychosis.

Pourtant on est bien face à du rock progressif pur jus, avec sa technicité au-dessus de la moyenne et ses structures alambiquées. Wilson s'est pour l'occasion entouré d'une équipe d'authentiques requins de studio : Gavin Harrison à la batterie (Porcupine Tree, King Crimson et... Eros Ramazotti), Tony Levin à la basse (King Crimson, Peter Gabriel) et Jordan Rudess aux claviers (Dream Theater, Liquid Tension Experiment). Des "zicos" aux affinités suspectes qui, enfermés dans le moule Steven Wilson, offrent leur grand savoir-faire de l'instrument sans se laisser aller aux solos fumeux. Preuve en est l'impressionnant "No Twilight Within The Courts of The Sun" et ses huit minutes de blues-rock dégénéré. Et c'est tout l'album qui, de façon générale, est tiré vers le haut par sa richesse harmonique et rythmique.

Que cela serve déjà de leçon : on peut aujourd'hui encore composer une musique qui soit difficile à exécuter et passionnante à décrypter sans emmerder le monde, et sans mettre en balance l'authenticité et l'expressivité de son auteur. Voilà de l'anti lo-fi dans le texte. Pour le reste, il faut espérer qu'un jour les barrières sautent ; que Porcupine Tree ne soit plus l'apanage des différentes communautés progressives, pour qu'enfin fans de Thom Yorke et de Steven Wilson chantent d'une même voix sans trouver ça trop bizarre. Car il n'y a d'incompatibilité qu'a priori.