AD VITAM ÆTERNAM

Booba

Tallac Records – 2024
par Yoofat, le 26 février 2024
6

Le rap francophone a le GOAT qu'il mérite. Si Booba est l'artiste numéro un du genre, peut scander plus de vingt ans après la sortie de son premier album "Depuis Temps Mort, zéro défaite", et être en TT à la sortie de Ad vitam æternam, c'est sans nul doute qu'il n'a pas fini de nous fasciner, pour le meilleur et pour le pire.

Depuis Temps Mort, Booba a en fait subi une défaite, et pas des moindres, avec ULTRA, album tout à fait correct s'il avait été sorti par un énième quidam cagoulé des années 2020, mais inacceptable venant de lui. Accumulant fautes de goûts, rimes triviales et collaborations malheureuses, ce dixième disque, censé conclure sa carrière, sera finalement suivi de cet album surprise, AD VITAM ÆTERNAM, un peu comme lorsque D.U.C, avant-dernier album moyen de B2O, avait été suivi par un Nero Nemesis exceptionnel en 2015. L'orgueil est un bien beau moteur.

Cela sonne presque comme une évidence : il était impossible que Booba rate deux albums de suite. AD VITAM ÆTERNAM est un peu plus court, mais surtout beaucoup plus concentré, inspiré, vociférateur et assertif que son prédécesseur. Remonté contre tout un tas de choses (son ancien collaborateur Geraldo, le niveau de Mbappé ou la fin du monde qui approche),le rappeur tire sur tout et tout le monde en enchaînant les punchlines avec le brio qu'on lui connaît. Les "puzzles de mots et de pensées" qu'il forme juxtaposent ses réflexions guerrières avec ses plus bas instincts, ses traits d'esprits les plus nihilistes avec des rimes "balles perdues" pour quiconque pensant ne pas la mériter. Brillant dans son égotrip, parfois gênant dans ses prises de positions ("Marre de votre fausse égalité, quand ça va péter, il faudra des hommes" dit-il sur "Sport Billy"), Elie Yaffa a au moins le mérite de reconnaître qu'il vieillit et que plusieurs aspects de ce "nouveau monde" lui échappent ("J'suis d'l'ancien monde, elle prend pas l'Ethereum, ma strippeuse d'Atlanta").

Avec l'âge, certaines choses semblent toutefois avoir évolué chez le Boulonnais. Lui qui autrefois disait avec un flegme certain "va t'faire niquer toi et tes livres" affirme désormais être inspiré par "Feu-Arthur Rimbaud" dans "6G", follow-up bien plus musclé mais tout aussi parano et complotiste que le "5G" de 2020. Pour le reste, Booba incarne toujours une forme de misanthropie amnésique, reprochant aux autres les torts qui le caractérisent. Sa foi chancelle, son amour-propre aussi. Le "Rebel" qu'il prétend être en samplant une interview de Bob Marley est aussi un pantin matérialiste, prêt à tout pour le buzz et ne démontrant aucune piété, comme la majeure partie des personnes qu'il charge sur ses morceaux. Car le chasseur d'influvoleurs, l'homme du peuple qu'il prétend être, s'est également illustré dans un clash pitoyable avec Gims fin 2023 afin de déterminer lequel des deux avait le plus gros jet privé. Que Dieu les punisse d'être pire que les autres. 

Sur les quelques morceaux chantés de l'album, ses mélodies très moyennes ne fonctionnent pas particulièrement. Pire encore, beaucoup moins entêtants que les "DKR" ou "92i Veyron" d'autrefois, ils dépeignent, avec la cruauté qu'on connaît à Booba, une vision toujours fort problématique des relations amoureuses ("La monogamie, c'est quand t'es fauché" chante-t-il sur "Signé"). Il n'y a que sur "Bégnini" porté par un Usky planant sur un piano-voix brutal et délicat à la fois que Booba use de sa voix avec réussite. 

Presque outshiné par un SDM en très grande forme sur le banger "Dolce Camara", presque outshiné par Usky sur "Bégnini", Booba voit ses poulains gagner en maturité et en maîtrise, peut-être suffisamment pour prendre une vraie retraite cette fois-ci, et laisser le 92i entre les mains d'auteurs plus à la page que lui et capables, peut-être, de ne pas faire des références sportives périmées ou pourries. Le titre de l'album nous le rappelle, la piraterie n'est jamais finie. Pour autant, quelques signes semblent nous indiquer qu'il serait grand temps de définitivement lever l'ancre.