48:13

Kasabian

Columbia – 2014
par Amaury L, le 13 juin 2014
6

Autant jouer couilles sur table: l'auteur de ces modestes lignes est un fan immodéré de ces têtes à claques de Kasabian et les attendait donc au tournant après la paire West Ryder Pauper Lunatic Asylum / Velociraptor!. Certes, les premiers albums étaient bons également mais on est tous relativement d'accord pour dire que ce sont leurs deux dernières livraisons qui ont définitivement permis au groupe de Sergio Pizzorno et de Tom Meighan de s'imposer comme les fers de lance du rock british. Du moins en termes de succès commercial marié à une certaine reconnaissance critique. Car il ne faut pas oublier que celle-ci était loin d'être gagnée, la presse ayant à l'époque reproché à Pizzorno et consorts leur superficialité et le manque de relief dans leur musique. On peut dire à présent que depuis que les lads ont balancé "Switchblades Smiles" à la tronche de leurs détracteurs originels, ces derniers sont beaucoup plus taiseux - quand ils n'ont pas retourné leur veste. Après la révélation et la confirmation, quel terme peut-on appliquer dès lors à ce 48:13 pour le définir ? Il semblerait que le mot "célébration" remplisse ce rôle à merveille, avec toute l'ambiguïté que cela implique. Explications.

Dans une récente interview avec The Observer, Pizzorno avait défini le son de ce nouvel album comme "l'esprit d'une rave des Midlands jouée par un groupe de rock de 1968".  Le chanteur Tom Meighan avait quant à lui paraphrasé Mies Van der Rohe en invoquant son célèbre "Less is more" comme ligne directrice. Si Pizzorno sait mieux que quiconque vers quoi il se dirigeait en composant à nouveau l'intégralité des morceaux à la manière d'un Noel Gallagher au sein d' Oasis, on peut se demander si Meighan parlait véritablement du même disque que son guitariste tant l'adage de l'esthétique épurée du Bauhaus semble aux antipodes de l'extravagance déployée dans 48:13.

Ainsi, l'album débute avec un "Bumblebee" gonflé à bloc, ce même titre qui nous avait rassurés quand on avait vu la performance du groupe chez Jools Holland après avoir découvert le déconcertant single "Eez-eh". Pour parler simplement, on se dit que Kasabian a décidément plus d'un tour dans son sac car on ne les attendait pas nécessairement sur un terrain aussi heavy. La qualité du songwriting reste toutefois confidentielle mais qui y fait attention lorsqu'on se surprend à hocher de la tête comme les clébards en plastique qu'on met devant son pare-brise ? Et c'est bien là toute l'essence du lad rock: des paroles la plupart du temps dépourvues de sens déclamées avec un ton frondeur, une grosse batterie et des guitares de Dieu le Père. Ah oui, sauf qu'ici en fait les guitares sont passablement laissées de côté au profit de leurs ennemis d'antan, les synthés. Et c'est là que se produit un moment essentiel dans le développement artistique du groupe, car il faut maintenant convaincre tous les fanas de gros riffs que leurs intérêts rejoignent les aficionados de grosses basses. A l'instar d'un Shaun Ryder (Happy Mondays) en son temps, Pizzorno a entrepris de rendre ces frontières obsolètes grâce aux mélodies, ces fragments de grâce auditive qui fédèrent parfois des individus radicalement opposés quels que soient leur origine, leur orientation politique ou leur statut social.

Ca paraît un brin poussé mais c'est exactement ce qu'il faut comprendre lorsqu'on critique Kasabian (qui n'est en fait que Sergio Pizzorno, si l'on considère son taux d'implication dans cet album). Avec "Switchblade Smiles", ce type avait déjà proposé une ébauche de ce qui devient maintenant une tentative d'arriver à une sorte de musique totalisante, englobant les codes de tous les genres de musique actuellement plébiscités, à savoir le rock, la musique électronique et le hip-hop. Il n'est certes pas le premier à vouloir incarner cette démarche postmoderne puisque Beck l'avait déjà fait avec Odelay en 1996. Mais laissons à présent de côté les considérations éthiques pour revenir sur la musique.

Une chose est sûre : Pizzorno s'est fait plaisir. Désormais seul aux commandes après avoir sûrement appris beaucoup aux côtés de Dan The Automator, il s'est amusé à redéfinir la physionomie du son de son groupe désormais confortablement assis sur le trône érigé par la presse anglaise. Malheureusement, on ne peut pas dire que l'ensemble soit vraiment uniforme. Au mix relativement profond et ambitieux de "Bumblebee" répondent des titres plus superficiels, comme le parfaitement niais "Stevie" et ses cordes de mauvais goût, ou la ballade seventies "S.P.S". Enfin, le titre le plus ambitieux censé illustrer les propos tenus quelques lignes plus haut pourrait être "Treat", qui témoigne d'une réelle progression vers un métissage dance-rock de moins en moins voilé jusqu'à une coda purement dance... qui peine à convaincre, malheureusement. On ne saurait que recommander à Kasabian d'écouter l'album de Jagwar Ma, maîtres dans la réanimation du cadavre Madchester en restant cependant furieusement modernes. Le problème n'est donc pas ici à chercher dans la démarche mais bien dans la facture des chansons et plus principalement dans les passages transgenres, plus épineux voire parfois carrément chiants.

Finalement, on s'est beaucoup emballé pour rien autour de ce nouvel album que l'on peut à bien des égards qualifier de suffisant, mais pas de décevant. Pizzorno a livré son quota de "tubes" ("Bumblebee", "Doomsday" et "Bow"), et il a au moins pris le risque de s'attaquer aux clivages, dans une optique qui tend à démontrer que ces mecs ne sont pas du genre à rester le cul vissé sur leurs chaises à attendre que la Divine Inspiration les prenne par la bite, comme ce bon vieux Liam Gallagher. La faute est tout simplement à mettre sur le compte des mélodies qui semblent bien fades sur une bonne moitié des titres, sacrifiés sur l'autel du groove.