40 oz. to Fresno

Joyce Manor

Epitaph – 2022
par Jeff, le 14 juillet 2022
7

N’écoutez pas ces mauvais coucheurs qui vous disent que vieillir est la pire chose qui puisse vous arriver. Certes, votre corps aime vous rappeler combien il abhorre le temps qui passe, mais en le traitant avec le respect dû à son rang, il est tout à fait possible d’enquiller les décennies sans passer pour un sombre connard déconnecté de la réalité. Et si vieillir reste un défi pour le commun des mortels, la tâche est encore plus compliquée quand on est musicien, et plus encore quand on s’est fait un nom dans un genre musical étroitement lié aux angoisses (post) adolescentes, comme c’est le cas de Joyce Manor.

Repéré dès 2011 avec l’album Joyce Manor, le groupe emo-punk originaire de Californie a rapidement attiré pas mal de regards sur sa formule, et notamment ceux du label Epitaph qui sort ses albums depuis Never Hungover Again. Cette formule si efficace, c’est celle d’un groupe qui cite comme influences majeures Morissey et Weezer (c’est difficilement perceptible pour le premier, moins pour les seconds), mais qui a vite lorgné sur des formations comme Blink-182, Green Day ou Yellowcard, qui avaient jeté dans les années 90 les bases d’une domination du son pop-punk sur les années 2000. Bref, Joyce Manor a toujours su mettre en musique ces petits détails et ces grosses émotions du quotidien du jeune fan de rock lambda.

Arrivé en 2022, le groupe doit être fier du chemin parcouru et de la discographie qu’il laisse derrière lui. Si Joyce Manor a eu à cœur d’essayer d’autres choses sur ses précédents albums, force est de constater que ses incursions en dehors de sa zone de confort n’auront jamais eu les effets attendus. Alors comme pour conjurer le poids des ans qui se fait inévitablement ressentir, et comme pour répondre à une époque qui voit le pop-punk effectuer un retour en grâce inattendu dans les charts (à travers des filles comme Poppy ou Olivia Rodrigo, par exemple), Joyce Manor revient aux fondamentaux sur 40 oz. to Fresno, un album aussi court que les autres – 9 titres pour même pas 17 minutes de musique.

Pourtant, malgré une durée inférieure à n’importe quel titre de la discographie de Godspeed You ! Black Emperor, ce sixième album studio de Joyce Manor parvient à dire énormément de choses sur le groupe, le regard qu’il porte sur cette « power punk-pop » qu’il a toujours eu vissée au corps, et sa place dans un écosystème où il n’a plus grand-chose à dire mais encore beaucoup de plaisir à donner – ce n’est pas un hasard si ce disque contient des titres qui sont parmi les meilleurs de son repertoire (« NBTSA », « Don’t Try »). Cette générosité se ressent logiquement d’un bout à l’autre d’un album qui jamais ne donne l’impression de ruer inutilement dans les brancards, jamais ne se prend les pieds dans le tapis en essayant de croquer vainement dans l’air du temps – un sentiment renforcé par cette reprise des vétérans de Orchestral Manœuvres In The Dark (« Souvenir ») placée en ouverture de l’album. Ainsi, débarrassé de tout ce qui pourrait le freiner, le groupe lâche les chevaux dans une rage communicative, et prouve qu’à ce rythme-là, il n’est pas prêt de disparaître de nos radars.

Le goût des autres :