Dossier

Television Rules The Nation #26

par la rédaction, le 24 février 2025

Chaque numéro de Television Rules The Nation, ce sont quatre suggestions, qu'il s'agisse de films, de séries ou de documentaires. Et à chaque fois, un lien avec la musique, mais pas forcément avec l'actualité, le dossier se voulant d'abord être alimenté par la seule envie de partager des contenus de qualité.

Rewind & Play

Le malaise est écrasant. À l’hiver 1969, Monk est en visite à Paris pour quelques concerts et un entretien dans l’émission « Jazz Portrait » avec le pianiste et journaliste Henri Renaud. Apparemment, ils se connaissent, mais rarement une interview musicale n’a autant laissé planer l’ombre d’un mépris total pour l’agentivité d’un artiste. Pris au piège dans ces interminables rushes, Monk ne cesse de fuir la conversation, baissant les yeux, mangeant ses mots, transpirant à grosses gouttes. Dès qu’il en a l’occasion, il retourne au piano, fait littéralement baisser sa température corporelle et évite de répondre à des questions que de toute façon on ne lui pose pas vraiment. Renaud passe l’intégralité de l’émission à lui demander s’il peut l’interroger sur une chose ou une autre ; Monk répond que ce n’est pas un sujet qui l’intéresse ; Renaud pose quand même la question, et le pianiste se voyant dans l’obligation de répondre, bredouille quelque chose qui ne convient pas à la télévision française, si bien qu’on traduira autre chose que ce qu’il a véritablement répondu. Lorsque Monk explique qu’il était aussi étonné de sa popularité que du bas salaire qu’on lui avait prodigué lors de sa première visite en France, on décide par la suite, en français et donc sans qu’il comprenne, « de couper parce que c’est vraiment désobligeant ». Le montage qu’Alain Gomis fait de cette archive inédite en révèle le caractère étouffant, mais aussi la spectralité coloniale qui l’habite. Réduit à la figure de la bête de foire, Thelonious Monk se voit refuser toute existence non-musicale, ce qui confère à ses improvisations autant de mélancolie que d’incompréhension. Comment cette équipe de journalistes peut-elle autant mépriser l’humain et autant aimer sa musique ? C’est dans cette situation lunaire, habitée par l’angoisse sonore de la machine télévisuelle, qu’on voit un grand artiste se refermer sur lui-même, et chercher sur les touches de son clavier l’humanité qu’on lui vole au fil des minutes. (emile0)

Avicii - I'm Tim

C’est l’histoire, tristement connue, tristement banale aussi, d’un mec qui grandit trop vite, trop fort, qui décide de vivre vite avant même de se connaître, qui habite un univers qui n’a rien de réel, tout de violent, et qui, pensant enfin trouver sa voie, et une issue de secours, se heurte à un mur plus solide que les autres, à une barrière qu’il ne saura cette fois-ci pas faire tomber. C’est donc l’histoire d’Avicii, mais aussi et surtout, comme nous l’explique le titre, celle de Tim Bergling, DJ, producteur et compositeur suédois de musique électronique, né le 8 septembre 1989 et décédé le 20 avril 2018, l’un des artistes les plus influents de l'EDM qui a connu un immense succès mondial, trop jeune, forcément trop jeune, trop rapide, trop intense, trop fou. Certes, nous sommes ici chez Netflix, où les documentaires musicaux, que l’artiste soit vivant ou décédé, ne font que rarement dans la dentelle, enchaînant les désespérants moments de pathos hardcore, laissant carte blanche aux artistes (qui souvent produisent eux-mêmes, pratique) pour prétendre se livrer comme jamais quand en réalité les larmes sont évidemment préparées, anticipées, écrites. Ici, pourtant (et malgré le peu de bien que sa musique nous inspire, il faut bien l’avouer), le propos est autre, il s’agit moins en somme de raconter le succès que l’ultime échec (le premier étant la cause presque évidente du second), les tournées que le doute, le désarroi et la folie que ce qui s’ensuit, la solitude, la peur aussi. On la connaît cette histoire, encore une fois. On l’entendra encore, le monstre pop a besoin d’être nourri. Et c’est aussi, en somme, ce que nous raconte le documentaire. Une histoire sans fin, sauf pour le héros. (Nico P.)

Ladies & Gentlemen ... 50 Years of SNL Music

On ne se rend tout simplement pas compte, ici, en France mais aussi ailleurs, non, on ne se rend pas compte de ce qu’est réellement le Saturday Night Live. Une messe, une institution certes, ça on peut le percevoir, après tout on nous le répète souvent, ici quand on tente bêtement de l’adapter au public français (souvenez-vous, c’était avec Gad Elmaleh et c’était un jeudi, fort heureusement le soir, on ne peut pas tout rater), là quand on célèbre en grande pompe son cinquantième anniversaire, pas rien tout de même, pour n’importe quel programme télévisé. Le SNL, c’est donc tout autant de l’humour, de la star, de la folie, une émission millimétrée, chorégraphiée, délirante, bête, ratée aussi parfois, et surtout, tout du moins dans ce dossier, musicale, rock, pop, rap, dans l’air du temps. Jouer au SNL, c’est comme tenir le rôle de “host”, c’est davantage que faire l’actualité, c’est faire l’époque. En tant que batteur des Roots, groupe résident de "The Tonight Show", et réalisateur du documentaire primé Summer of Soul, Questlove est la personne idéale pour analyser l’impact culturel et musical de SNL. Le documentaire s'ouvre sur un montage dynamique de près de sept minutes, réalisé par Questlove, qui fusionne des extraits de performances musicales emblématiques de SNL, offrant une rétrospective fascinante de l'histoire musicale de l'émission. La suite est une immersion riche et détaillée dans l'évolution musicale de SNL, agrémentée de performances marquantes, de témoignages exclusifs et d'analyses sur l'impact culturel de l'émission. Et attention, casting de luxe : Miley Cyrus, Bad Bunny, Paul Simon, Mick Jagger, Tom Morello, Kacey Musgraves, Jack White, Elvis Costello, Billie Eilish & Finneas, Dave Grohl, Debbie Harry & Chris Stein, Dua Lipa, Darryl "DMC" McDaniels, Olivia Rodrigo, Chris Stapleton, Justin Timberlake et Lee Ving. Tous parlent. Tous racontent leur petit échafaudage d’un monument. (Nico P.)

Yacht Rock : A Dockumentary

Mais c’est quoi enfin le yacht rock ? Un style musical caractérisé par des mélodies douces et sophistiquées, incarné par des artistes tels que Michael McDonald, Kenny Loggins, Steely Dan, Toto et Christopher Cross. Pourquoi pas. C’est une blague aussi. Initialement moqué, le Yacht Rock a connu une réévaluation positive au fil des décennies. Il paraît. Des artistes contemporains tels que Thundercat, Mac DeMarco et Questlove partagent leur admiration pour le Yacht Rock. Tant mieux pour eux. Donc, soyons vraiment rigoureux (et cherchons sur Internet) : le Yacht Rock est un genre musical apparu à la fin des années 1970 et au début des années 1980, principalement sur la côte ouest des États-Unis. Il est caractérisé par un son soft rock sophistiqué, aux influences jazz, R&B et soul, avec des mélodies lisses et raffinées, des harmonies vocales complexes et une production ultra-polie. Mais encore ? Le terme "Yacht Rock" a été inventé rétrospectivement dans les années 2000 par la websérie humoristique Yacht Rock (2005). Il fait référence à l’image d’un style de vie luxueux et insouciant, associé aux yachts, aux couchers de soleil californiens et aux années fastes du soft rock. Le terme est donc une incompréhension. Il est né en retard, d’une création moderne sur un genre qui ne l’est pas, ou moins. De yacht il n’est que peu question, malgré la côte ouest (“Sailing” de Christopher Cross, il parle d’un voilier, non ?). Surtout, le terme sonne léger, bête, frivole, tout ce que n’est pas en soi le genre, bien plus riche, malin, intéressant et curieux que la série elle-même. Dans la série, d’ailleurs, là n’est pas tellement le sujet. Dans le documentaire en revanche… Le film donne la parole à des figures emblématiques du genre comme Michael McDonald, Kenny Loggins, Christopher Cross et Toto, ainsi qu’à des artistes modernes influencés par ce son comme Thundercat et Mac DeMarco. Le documentaire propose des séquences inédites, des coulisses d’enregistrements et des performances mythiques, mais tout ça, c’est la base. Là où les choses deviennent intéressantes, c’est quand le documentaire devient, sans forcément le dire ni même le comprendre, un contre-récit. En réalité, ce n'est pas la musique qui a influencé le "yacht lifestyle", mais l'inverse : la web-série Yacht Rock a donné cette image, qui a ensuite été adoptée avec humour par la culture pop. Et quand beaucoup pensent que ces musiciens faisaient de la musique légère et commerciale sans réflexion, en réalité, des groupes comme Steely Dan ou Toto étaient des virtuoses du studio. Même dans la pop grand public, des stars comme Daft Punk (Random Access Memories) ou Bruno Mars ont repris des éléments typiques du Yacht Rock. Le yacht rock en somme n’existe pas. Sauf en esprit, en pensée. Et ce documentaire de se faire vaporeux, autre, hésitant, flou, étrange. De prendre l’eau, avec panache. (Nico P.)