Liumin

Deepchord presents Echospace

Modern Love – 2010
par Serge, le 29 juin 2010
7

La techno, c'est principalement deux motivations. Bouger son cul et éveiller ses sens. Né fonctionnel, le genre a très vite cherché à transcender ses obligations dancefloor et à inclure dans sa robotique musicale une histoire, des émotions, un aspect contemplatif. Il y est très vite arrivé, quelques années tout au plus, déjà le Graal en poche lorsque les beats se sont évaporés dans l'ambient, fin des années 80. Du disco électronique des débuts, format finalement devenu pop, l'idée était de passer à une pulsation continue; un trip devant autant aux idées de Timothy Leary sur les réalités virtuelles qu'à des impressions tirées de la vision droguée d'un film comme Blade Runner ou encore de la lecture du Neuromancer de William Gibson, où est justement émise l'idée d'une musique électronique n'étant plus qu'une longue pulsation dub parcourue d'informations sensorielles.

Connus ou non, pirates ou célébrés, réussis comme ratés, intellos comme jouettes, inécoutables ou visionnaires, il y eut ces vingt dernières années des milliers de disques tentés par l'élaboration d'un tel voyage au plus profond des neurones, entre BO idéale à la fumette des dimanches après-midis et réelles tentatives d'ouvrir le cerveau en deux pour y découvrir quelque chose qui soit post-humain ou pré-divin, allez savoir... Et si force est de constater que Liumin n'invente rien, ce nouveau disque a au moins le mérite de s'incrire dans une longue tradition, de davantage suivre une quête que les modes. C'est son aspect le plus heureux.

Ses concepteurs, Rod Modell et Steve Hitchell, sont connus et célébrés dans le petit monde techno depuis une quinzaine d'années. Leur musique, souvent plus simplement efficace que magique, a aligné quelques faits d'armes appréciables mais jamais grand-chose qui ne soit apte à dépasser le cercle des chapelles geek. En dehors d'une discothèque spécialisée et des forums Discogs, il est difficile de convaincre le commun des mortels d'écouter cela; cette musique sans trop de mélodie, chassant l'hypnose sur de longues plages nues, se réveillant de temps à autre de sa torpeur en stimulant les sens via le chipotage de quelques potards. Il manque irrémédiablement quelque chose à Deepchord, non pas le talent, mais une différence. Quelque-chose qui les sorte de la banalité du wagon de seconde classe, en fait.

Liumin, en soi, n'est pas un mauvais disque. Il y a juste que son prémisse, la rencontre entre le field recording (bruits de villes, de conversations tokyoïtes, de trains, etc...) et la pulsation dub, n'est pas assez aboutie, plutôt convenue et même carrément facile. La langue de bois techno a beau parler d'expérience de désorientation, de musique quasi expérimentale, de réussite débordant d'âme, il est évident même pour un béotien que ce n'est pas tout à fait cela. Bien sûr, on est ici très loin de la vulgarité souvent putassière des produits dancefloors et tout au loin même si déjà visible, il y a cet idéal de perfection techno, de disque à la fois bougeur de cul et éveilleur de sens. Clairvoyant plutôt que carnassier, c'est bien pourquoi on s'en tiendra à l'idée que Liumin a toutes les chances de grandement plaire aux geeks des dancefloors et à peu près aucune de fédérer au-delà de ce cercle précis. Une affaire strictement infra-communautaire, en d'autres termes.

Le goût des autres :
8 Simon 8 Thibaut