Swimming

Mac Miller

Warner Bros – 2018
par Aurélien, le 4 octobre 2018
7

Mac Miller ne sortira plus de disques. C’était déjà une nouvelle dure à entendre au soir du vendredi 7 septembre, et c’est une chose plus bizarre encore à écrire lorsqu’on cherche à mettre des mots sur cet ultime album. Sans doute parce que je l'ai d'abord expérimenté comme un disque d’été, doux et amer à la fois, le long des routes de Sardaigne. Et que d'une certaine manière, je n’ai pas trop cherché à lire entre les lignes, tant qu'il satisfaisait à mon petit bonheur égoïste. Il ne fallait pourtant pas gratter bien longtemps pour comprendre qu'il baigne dans un bonheur qui sonne faux. Et ce n'était pas faute d’avoir été prévenus, et à de multiples reprises: malgré le personnage souriant qu’il impose face caméra, Malcolm McCormick n'allait pas bien. Et ça faisait bien trop longtemps que ça durait.

Entre son couplet sur le "I Just Wanna" de Chief Keef et le clip de "Self Care", les preuves du mal-être de Mac Miller ne manquaient pas. Pourtant, naïvement, on a toujours pensé que cette downward spiral n’était qu’une posture. Un moyen pour lui de se payer une crédibilité alors qu’il baignait dedans depuis bien trop jeune. Tant et si bien que, finalement, il a fini par refuser toute aide, et a continué à avancer dans cet élan de destruction créatrice qui caractérise toute sa production faite de disques imparfaits, mais habités d’une envie d’aller de l’avant, et d’exorciser ses démons par la musique.

Car c’est paradoxalement au moment où il a mis le mieux les mots sur son mal-être que Mac Miller est devenu un personnage attachant, aux choix de carrière salutaires. De simple rappeur, il s’est mué en chef d’orchestre sous le nom de Larry Fisherman, et a établi des connexions passionnantes avec The Internet ou Vince Staples  - dont l’excellent Stolen Youth, un disque vite oublié dans leurs discographies respectives. S’il aura peiné à s’offrir un vrai classique, il ne s’en est pas trop inquiété: il était trop occupé à créer, sans filtre ni barrière, et à imposer sur le long terme son personnage de Pierrot romantique qui découvre la vie par le prisme biaisé des drogues. Au fil des disques, il a fait grandir un personnage terriblement humain, jusqu’à ce cinquième disque où ses démons ont fini par le consumer.

Pourtant, Swimming cultive un côté solaire trompeur qui nous a presque donné envie de croire que Mac Miller allait mieux. Mais il n'en était rien: s’il chante beaucoup ici, c’est pour raconter que sa réalité n’est plus la même, et qu’elle est aussi distordue que lorsqu’il cherche son regard dans l’eau. C’est cette métaphore aquatique qui le suit tout au long de ce projet: alors qu’il affirme nager là où il se noyait avant, c’est moins par volonté de traduire qu’il prenait le dessus sur ses addictions que pour annoncer que seul son décès ne parviendra à l’en libérer. Un discours qui rappelle le personnage de Danny Brown, mais qui se veut plus coloré et ambigu.

Dans le fond, on a le sentiment de comprendre bien trop tard qui était en réalité Mac Miller, un peu comme ce pote déconneur qui tombe soudainement en dépression, sans qu'on s’y attende. Il laissera pourtant sur le rap des années 2010 une empreinte indélébile, et un témoignage terrifiant du manque d'écoute qu'on porte aux artistes. En somme, ne prenez rien pour acquis: protégez Earl Sweatshirt de la dépression qui l’empêche de sortir des disques, préservez JuL de la haine de ceux qui souhaiteraient le voir mourir quand ils perdent un autre artiste qui leur est cher, et surtout ne vivez pas dans l’ombre de ceux qui ont vu en Ariana Grande une responsable de sa mort, quand elle-même a vécu un attentat à la sortie d’un de ses concerts. Car s’il y a bien une chose que Mac Miller nous a appris, c’est d'être attentif à leur santé, quand bien même ils ont choisi de s’accommoder de leurs fantômes jusqu’à la tombe.

Le goût des autres :