Perdu d'avance

Orelsan

Wagram – 2009
par Soul Brotha, le 29 mars 2009
8

Voila le genre de disques que l'on est tenté de repousser sans même l'avoir écouté. L'ultra buzz entourant la sortie de cet album fait d'un bombardement médiatique intensif (combien de journalistes paresseux auront cédé aux comparaisons douteuses avec Eminem ou Mike Skinner?) et d'une semaine de "Planète Rap" (ce qui équivaut à la condamnation à mort d'un album, il faut bien le reconnaitre) a de quoi fatiguer. On parle d'un rappeur "qui a de la plume", un mec dont la spécialité est "de faire rimer les mots avec génie". Pourtant, et c'est une bonne surprise, il se cache un vrai bon projet derrière ce plan média horripilant et cette présentation de "rappeur à punchlines".

Il faut bien avouer que cette manie de vouloir poser "la rime qui tue" est devenue un réflexe à peu près insupportable du Hip Hop hexagonal, délaissant le fond pour mettre le paquet sur la forme. Si Orelsan nous bombarde de bons mots, c'est au service d'un propos d'une rare pertinence dans cette musique qui oublie son rôle de thermomètre des jeunes générations. Le rappeur caennais, derrière une apparente bonhomie et un humour gras plutôt bienvenu, nous décrit une génération, la notre, perdue, sans but ni idéal.

Il pointe le malaise d'une jeunesse incomprise et mal dans ses Stan Smith. "Changement" décrit froidement et avec une rare justesse cet univers fait d'internet, de paradis artificiels, d'ennui et d'incompréhension quand "Perdu D'Avance" définit le looser moyen contemporain, sans relief ni grand intérêt. Cependant, le morceau cristallisant ce message gris se trouve être l'incisif "No Life", demandant dans le refrain "Qu'est-ce qu'on s'en branle du futur quand on a pas de présent?".

En plus d'une plume acérée, Orelsan possède un flow d'une qualité certaine. Si on pourrait parfois le confondre avec Disiz La Peste (au niveau du timbre de la voix), il pose de façon fluide, claire sans tomber dans le piège de l'agressivité (là encore une mode horripilante chez une bonne majorité des MCs tricolores). Sans être génial, il assure de façon correcte cette partie là du boulot, atteignant tout de même un sommet sur le bien nommé "Jimmy Punchline", jouissif moment de MCeeing fougueux et trippant.

Du coté des beats, là encore le boulot est fait. Il n'y a rien de révolutionnaire dans ces 14 pistes mais l'album s'ancre dans une certaine modernité sans pour autant tomber dans le tout électronique ou le désagréable, l'ensemble étant taillé pour laisser parler les textes du volubile MC caennais. L'autotune (heureusement utilisé avec parcimonie) aurait pu être évité mais dans l'ensemble, c'est assez solide.

Orelsan avait tout du buzz artificiel: des morceaux catchy combinés avec une promo maligne font souvent des soufflets qui retombent vite. Pourtant, "Perdu D'Avance" se trouve être un album fort pour le Hip Hop français. Il nous permet de découvrir un MC doué et doté d'une vision acérée de ses semblables. Son tour de force aura été de trouver les bons équilibres en délivrant cet album pertinent sans être intello, puissant sans être agressif et très contemporain sans être inaudible.

Le temps confirmera ou pas cette impression, mais on pourrait penser que Perdu D'Avance est un miroir de la génération des 18/25 ans: c'est gris, vulgaire, obsédé et déprimé. En ce sens, on pourrait le ranger aux cotés du Vive La Vie du Klub des Loosers: on n'y trouve certes pas les boucles d'ascenseurs louches ou le renoncement au Prozac du versaillais masqué Fuzati mais une même sorte de malaise et une véritable fulgurance lyricale sont au rendez-vous. 

Le goût des autres :