No Song, No Spell, No Madrigal

The Apartments

Microcultures – 2015
par Maxime, le 2 juin 2015
10

Il est des retours que l'on n'attendait pas, auxquels on ne croyait même pas et dont la simple annonce fiche la chair de poule. Parce que l'on a aimé, parfois pleuré sur cette musique, parce que l'on fait partie de ceux qui gardent précieusement le secret de son existence, comme l'on serre un diamant contre soi.

L'histoire est belle et mérite d'être relatée : Peter Milton Walsh est le cerveau et le bras armé de The Apartments, groupe de pop australien émergeant dans le sillage de The Go-Betweens, dont Walsh a brièvement été membre. Son premier album The Evening Visits... And Stays For Years (1985) a trente ans, et ce n'était pourtant pas un disque de jeunesse. Déjà marqué par la vie, l'auteur donne naissance a un son reconnaissable entre mille. Ce premier coup d'éclat est le point de départ d'une discographie impeccable, principalement produite dans les années 90 : Drift (1992), A Life Full of Farewells (1995) et Apart (1997), les deux premiers étant des joyaux impérissables et chacune de leurs chansons une pépite de songwriting.

Puis au crépuscule du siècle le groupe se tait. Devenu cultes, en particulier en France où la blogosphère alors naissante bruisse de louanges, les albums de The Apartments deviennent vite introuvables dans les bacs. Ce que l'on sait maintenant mais que l'on ignorait à l'époque, c'est que le décès du fils de Walsh a fauché en plein cœur le père et l'artiste, mettant un coup d'arrêt brutal à son oeuvre. Un arrêt qui ne fut pas un point final, grâce à la patience et au dévouement de fans français menés par Emmanuel Tellier du groupe 49 Swimming Pools. Ce dernier a convaincu l'homme de revenir sur scène pour une tournée de quelques dates sous son nom, en 2009, puis pour une seconde sous le nom de son groupe en 2012, financée par le crowdfunding. Entre-temps un titre inédit, "Black Ribbons", a vu le jour en 2011, la même année que la réédition de Drift, le deuxième album, chez les Bordelais de Talitres. Et en 2015 sort finalement No Song, No Spell, No Madrigal, financé une nouvelle fois par les passionnés via l'excellent label Microcultures.

Dès la première écoute on est replongé dans ce son intemporel. Ces chansons pourtant nouvelles sont déjà familières. Il n'y en a que huit, dont "Black Ribbons" que l'on connaissait déjà, mais sans le moindre déchet. Chaque arrangement est une merveille, chaque mesure un petit miracle. Ces 38 minutes s'écoulent en un battement de cils mais s'écoutent pendant des heures sans la moindre lassitude. On sent que l'auteur, qui a mis des années à accoucher de ces morceaux, a pris le temps d'en polir chaque facette jusqu'à la perfection.

Identifiable entre mille, la voix de Peter Milton Walsh sonne comme au premier jour, malgré la douleur qui imprègne le disque de bout en bout, hommage à l'enfant qui n'est plus et auquel l'album est dédié sans jamais tomber dans le pathos. La naïveté n'est pas de mise mais la grâce des premières fois est toujours là.

Evidemment l'on pourrait s'étendre des pages entières sur ce bijou qui est depuis plusieurs semaines dans les bacs (cette chronique a un peu traîné mais que sont quelques jours de retard après toutes ces années d'attente), mais mieux vaut ne pas en dire plus et laisser chacun s'approprier l'objet, s'émerveiller à l'écoute de "Twenty One" ou trembler à celle de "The House That We Once Lived For".

Qui sait, peut-être ce retour va-t-il marquer le début d'un vrai succès public pour le groupe, dont il se murmure qu'il va prochainement revenir en France pour une nouvelle tournée. C'est tout le mal qu'on lui souhaite, même si au fond ce serait un petit déchirement de se voir un peu dépossédé de ce secret jusque là si bien gardé.

Le goût des autres :
6 Amaury L