NEPTUNE TERMINUS

Youssoupha

Bomayé Musik – 2021
par Yoofat, le 14 avril 2021
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Ils sont rares, les rappeurs déjà auréolés de succès qui ressentent encore l'envie de sortir de leur zone de confort. L'ex-capitaine du PSG, Mamadou Sakho disait du football que c'était un "éternel reprouvement" (sic). Youssoupha, lui, parlait déjà d'Éternel Recommencement en 2005, lors de sa première sortie discographique. Même s'il y a encore en NEPTUNE TERMINUS un peu de cette fougue d'éternel rookie, il y a aussi quelque chose de très évident dans ce huitième album du Prims Parolier, quelque chose que l'on retrouvait déjà dans Polaroïd Experience, son précédent projet : le rappeur Franco-Congolais s'est affranchi de son envie de succès, de son besoin de se confronter aux nouvelles têtes d'affiche du Rap Jeu, ceux qu'ils citent, en partie, dans l'outro de son dernier grand morceau "Chanson Française".

Épanoui, serein financièrement et doté d'un statut de quasi-légende du rap à la française, au moins depuis son couplet sur "Paname Boss", Youssoupha s'affiche plus décontracté et davantage en roue libre dans une troisième partie de carrière qui ressemble à un épilogue fourre-tout dans lequel le Gesteur le plus bavard de France s'en va tout raconter, de ses réflexions les plus triviales à celles les plus profondes. Comme pour Polaroïd Experience, sans doute, NEPTUNE TERMINUS divisera ses auditeur·rice·s en deux catégories : d'un côté, celles et ceux qui sont déjà partisan·ne·s du rap de Youssoupha et verront ce projet comme une opportunité de le découvrir de manière plus intime, de l'autre, les nouveaux·elles arrivant·e·s, plus jeunes et abonné·e·s à la playlist "fines plumes" dans laquelle la dernière contemplation étoilée de Lonepsi peut se retrouver aux côtés d'un niquage de mère raffiné de Damso ou d'une soupe maladroite de joysad sans qu'on comprenne réellement la pertinence de l'idée. Quoi qu'il en soit, le nouveau Youssoupha se retrouve catapulté dans la case des "lyricistes", une case pas franchement flatteuse en 2021, mais qui lui sied particulièrement bien. 

Ces dernières années, Booba a accumulé les sorties débiles en interview ainsi que sur ses divers réseaux sociaux, mais l'une d'elle mérite d'être étayée : "Plus personne n’écrit bien, franchement. Avant il y avait Solaar, Oxmo, mais les jeunes ne sont pas au niveau" confiait-il à GQ l'an dernier. Si la formulation est aussi grossière que la personne interviewée, le fond ne l'est pas tout autant. Ce n'est pas être réac' que de constater que les schémas de rimes, que la sémantique et que les jeux de mots ont tendance à se ressembler ces dernières années. Cela ne veut pas dire que plus personne n'écrit bien, mais plutôt que la majorité des nouveaux-arrivants ne prennent plus le temps de styliser leur écriture, voire de l'incarner. On ne devrait jamais retrouver ces défauts chez un rappeur comptant plus de 15 ans d'activité dans le rap, mais NEPTUNE TERMINUS est rempli de lignes faciles, de références déjà entendues, ou de clins d'œils bien trop persistants. Car oui, "MON ROI" est bien exécuté, mais il est impossible de ne pas instantanément penser à "Notes pour trop tard" d'Orelsan. Car on a forcément "carrelage italien" d'Alpha Wann en tête quand Youssoupha se moque des "ploucs à Dubaï" sur "SOLAAR PLEURE". Car on se dit que Yossoupha est effectivement MC Solaar en moins fort quand il reprend une ligne iconique de "Baby Love" pour pondre cette sacrée "flunchline" : "Les femmes viennent de Vénus et les hommes viennent de Mars /C'est p't-être un peu pour ça qu'l'amour c'est de la science-fiction"... 

À bien des niveaux, Le lyriciste Bantou est devenu spongieux, voire fainéant dans son écriture, et c'est pourquoi il est difficile d'être élogieux envers son rap dans lequel le verbe a toujours occupé une place centrale. La principale qualité de Youssoupha sur NEPTUNE TERMINUS sera plus de l'ordre de la narration, de son mode de vie si particulier, entre l'Afrique et la France, ses fêtes et son rôle de père, son positionnement religieux, expliqué en filigrane sur plusieurs pistes de l'album. Sans nécessairement être passionnant, car on le connaît trop pour ressentir cela, Youss' reste agréable à écouter grâce à des traits d'esprit et des formulations dignes de citations. "L'idée reste de mourir jeune, mais le plus tard possible", à l'instar du Nas de King's Disease par exemple, car il n'est jamais question de faire dans le jeunisme, Dieu merci, mais de conserver la fraîcheur adolescente qui nous habitait autrefois, et qui, en réalité, nous habite toujours.