Life Is People

Bill Fay

Dead Oceans – 2012
par Julien L, le 25 septembre 2012
8

Il y a maintenant plus de quarante ans, Bill Fay sortait deux grands albums: un album éponyme en 1970 et, l'année suivante, Time of the Last Persecution. Deux disques et deux teintes complémentaires: le premier se dressait fièrement sous la richesse des cordes et cuivres (il suffit d'écouter "The Sun Is Bored" ou "Methane River" pour se prendre en pleine face la haute teneur des arrangements), tandis que le second baignait dans un classicisme folk-rock sans faille.

Puis le vide, jusqu'à la sortie la même année, en 2004, d'une compilation d'inédits, From the Bottom of an Old Grandfather Clock, et de Tomorrow Tomorrow and Tomorrow, album initialement enregistré entre 1978 et 1981, légèrement progressif dans ses orchestrations rappelant Pink Floyd période Wish You Were Here et aux compositions toujours aussi remarquables - le morceau final, "Isles of Sleep", est d'une beauté à pleurer. Enfin, en 2009 est sorti le double album anachronique Still Some Light, scindé entre un premier disque compilant des morceaux enregistrés au début des années 70, et un second disque bourré jusqu'à la moelle de morceaux inédits enregistrés à la maison, sur lesquels Bill Fay semble brûler toutes ses cartouches.

Life Is People, son nouvel album, est le premier enregistré en studio depuis quatre décennies. Joshua Henry, le producteur du disque qui a grandi en écoutant les vinyles de Bill Fay de son père, a tout simplement demandé à l'artiste s'il voulait enregistrer un nouvel album, lequel a accepté. De nouveaux visages se sont greffés à cette affaire musicale: entre autres, deux musiciens ayant joué sur Time of the Last Persecution, un chœur gospel, un quatuor à cordes et Jeff Tweedy, tête chercheuse de Wilco.

En substance, ce disque est une œuvre à la production soyeuse. La force de composition de Bill Fay ne s'est pas estompée sous la patine du temps. Tour à tour mystique de par la thématique religieuse de certains textes et atemporel (à part la production soignée très ancrée dans notre temps, cet album aurait tout à fait pu être composé par Bill Fay à ses débuts), Life Is People puise sa force, dès les premières notes de piano de "There Is a Valley", dans une exigence mélodique quasi monastique. "Big Painter", inquiétant par ses volutes menaçantes de violoncelle empruntées à Arvo Pärt, conquiert le cœur de l'auditeur: la musique de Bill Fay est toujours aussi essentielle. Le clair-obscur caractérise la progression de cet album: l'entraînant "This World", sur lequel Jeff Tweedy accompagne Fay, est suivi par le doux et rédempteur "Healing Day". "Be at Peace With Yourself" est l’un des grands moments de ce disque, avec des chants gospel qui se fondent dans une composition humaniste. La reprise de Wilco, "Jesus, Etc.", donne le coup de grâce: accompagné uniquement de son piano, il fait reprendre haleine à ce morceau et le transpose en une magnifique ballade. "Cosmic Concerto (Life Is People)", porte son thème hypnotique sur presque huit minutes, culminant sous un déferlement de cordes. L'album s'achève sur "The Coast No Man Can Tell" et des paroles bien à propos : « It's time to leave and say goodbye, at least for now ».

Life Is People est un disque empreint de générosité et de renoncement, deux caractères forcément antagonistes sans pour autant être excentriques. Bienveillante et sincère, portée par un homme humble, la musique gravée sur ce disque rehausse la discographie de Bill Fay, qui demeure une collection exemplaire de songwriting pop.