Istiklaliya

Aufgang

Infiné – 2013
par Jeff, le 2 mai 2013
7

Agoria est Infiné et Infiné est Agoria. C'est dans cet échange de bons procédés très privilégié et un peu toxique que l'on souvent appréhendé la relation qui unissait le label lyonnais et celui qui l'a porté sur les fonts baptismaux. Certes, Sébastien Devaud a fait beaucoup de bien à Infiné en termes de production discographique et de visibilité, mais il a aussi fait beaucoup d'ombre au reste de l'effectif. Et celui d'Infiné est très bien fourni, à l'image des nombreuses sorties du label chaque année. Et si on imagine que des gens comme Cubenx, Arandel ou Spitzer n'ont pas été du genre à se plaindre lorsque leur nom a pu être associé à celui d'Agoria dans un communiqué de presse laudatif, ils doivent également se dire que depuis le départ de ce dernier de la structure, c'est un salutaire courant d'air qui traverse les bureaux du label. Et surtout, avec ce divorce à l'amiable, on n'utilise plus le producteur comme une sorte de référent bidon pour qualifier les artistes d'un label dont on peut plus que jamais apprécier la diversité et l'ouverture d'esprit en 2013.

Parfaite transition donc, pour évoquer le nouvel album d'Aufgang, le projet qui réunit les pianistes Rami Khalifé et Francesco Tristano, ainsi que le batteur Aymeric Westrich. Un projet né à l'entame des noughties à la prestigieuse Juilliard School de New York avec la rencontre des pianistes classiques que son Khalifé et Tristano, mais qui a vraiment débuté en 2005 avec un concert monté dans l'urgence pour le Sonar, après que Jeff Mills eut entendu quelques jours plus tôt Francesco Tristano se fendre d'une magnifique reprise de son mythique "The Bells" lors d'un récital classique du pianiste luxembourgeois dans la capitale catalane. Si l'on raconte cette anecdote, c'est parce que cette expérience fondatrice permet de tisser un lien évident avec un troisième album qui transpire le live par tous les pores. En effet, on décèle dans cette fusion réussie entre musiques classique de haute voltige et bidouillages électroniques une volonté évidente d'avoir pensé Istiklaliya comme un objet éminemment organique, comme une intenable bête à deux têtes qui entrevoit le studio comme une cage dont elle espère au plus vite pouvoir se libérer. Mais il ne faut évidemment pas voir dans Istiklaliya comme un simple passeport pour la scène car déjà dans cette interprétation figée dans le temps on se fait happer par le souffle épique de titres comme "Balkanik", "Kyrie" ou "Diego Maradona", sur lesquels Battles croise le fer avec le Brandt Brauer Frick Ensemble – d'autres spécialistes de la fusion très dangereuse classique/électronique.

Pensé comme un tour de force permanent, comme un exercice de style à la hauteur de la virtuosité de ses géniteurs, Istiklaliya est un album qui risque toutefois d'en décourager certains, écœurés qu'ils seront devant cette volonté permanente d'en foutre plein la vue. Et c'est peut-être là que se trouve le seul défaut de ce disque. Il n'empêche que pour toute âme sensible rebroussant un peu vite chemin, il s'en trouvera toujours une un peu plus curieuse à la recherche de sensations fortes, que le trio Tristano/Khalifé/Westrich ne se manquera pas de lui servir sur un plateau d'argent.