Black Noise

Pantha Du Prince

Rough Trade – 2010
par Simon, le 15 février 2010
9

Si vous avez sûrement tous déjà entendu parler du bruit blanc (ou « white noise » pour les intimes) pour son usage récurrent dans les productions expérimentales, il n'en est peut-être pas de même avec le bruit noir (ou « black noise », nous y voilà). Appelé également le bruit silencieux, le bruit noir est, entre autres, le bruit qui commande aux animaux de fuir quand une catastrophe se prépare ou que le danger est imminent. Une sorte de sixième sens en quelque sorte. Ce thème amènera notre héros du jour à poser ses valises au cœur des alpages suisses pour y prélever les échantillons sonores de sa nouvelle œuvre et tenter le coup de la fusion avec cette bonne vieille Dame Nature (dans le langage pompeux de la musique expérimentale on parlerait de "field recording"). Et pourtant, cette démarche tout ce qu'il y a de plus électro-acoustique (et qui se vérifiera en cours d'écoute) est à mettre au compteur d'un des plus beaux artisans de la deep house, Pantha Du Prince, devenu intouchable au cœur d'une house totalement dévouée à la mélodie et marchant à contre-courant d'une scène souvent acclamée pour sa froideur.

Troisième album et surtout successeur d'un This Bliss qui affole les tops de la décennie qui s'achève, Black Noise aura lui aussi droit à sa place au panthéon des plus belles œuvres électroniques. Peut-être car son talent ne s'est jamais dilué, qu'il n'a au contraire jamais cessé d'enfler au cours des années. Peut-être aussi car son romantisme musical a atteint ici une forme d'acmé : sans doute moins extatique que son grand frère, Black Noise a assurément encore gagné en profondeur d'âme (c'est dire) pour nager sur le temps d'un album assez long dans les eaux de la perfection synthétique. Et le dandy d'Hambourg a dû sentir qu'il était temps pour lui de graver son nom sur les tablettes, invitant Panda Bear à pousser la chansonnette à ses côtés, ordonnant les clochettes et guidant les tintements dans un récital à l'agencement chirurgical. Mais si le bruit noir impose aux animaux de partir, celui de Pantha Du Prince nous conjure de rester, bien assis sur les fesses pour ne pas tomber, pour enfin rêver et s'endormir aux doux sons de ces onze entrelacs musicaux. Ce que l'on aime aussi dans ce nouveau cru millésimé, c'est son incroyable complexité mélodique déguisée en partition baroque, cette furieuse envie d'en donner toujours plus afin que les écoutes n'épuisent jamais les surprises, que ce nouvel album soit toujours un nouveau lieu de rencontres.

Black Noise est une messe (au sens propre comme figuré) qui invite toujours plus de tendances organiques tandis qu'Hendrick Weber creuse son sillon deep house de manière ostentatoire, pour finalement arriver à une fusion architecturale d'un genre unique en son genre. Car peu d'artistes parviendront à le suivre dans de si belles démonstrations de deep house mélancolique : peut-être Efdemin, sûrement Lawrence (ce qui nous rappelle que Dial et Mule Electronic sont encore aujourd'hui les références en la matière), ce qui fait bien peu au final. Peut-être alors est-il temps de repréciser que cette omnipotence du jeune prince ne se conçoit qu'à un niveau d'excellence mesurable à l'échelle de sa carrière exemplaire et surtout à l'écoute de ce Black Noise titanesque.

On pourrait donc en rajouter des tonnes derrière : dire qu'il est déjà un grand prétendant au titre d'album électronique de l'année, que sa vision dépasse encore de loin ce que cette plaque nous rendra d'ici plusieurs années. On préfèrera tout simplement vous diriger vers cette nouvelle sortie comme un conseil d'ami, bien conscients qu'une première écoute aura vite fait de vous faire chavirer. Car un tel présent est chose qu'on ne refuse pas. Masterpiece.

Le goût des autres :
8 Julien Gas 8 Jeff 7 Julien