Ombre

Tamburi Neri & Hiroko

Worst Records – 2021
par Louis, le 30 mars 2021
7

Automne 2019, feu Dehors Brut propose une soirée dont les curateurs ne sont autres que les boss du festival Positive Education à Saint-Étienne. La table du temps aligne entre autres JASSS et Lena Willikens, dont la puissance et les qualités de sélecta font l’unanimité chez quiconque doté de bon sens. Mais la claque ne viendra pas d’elles. Les entourant, on retrouve Les Fils de Jacob, fondateurs du tout jeune label stéphanois Worst Records, et deux de leurs poulains, A Strange Wedding et Jacques Satre. Le rythme est lent à te faire fuir les pistoleros parisien·ne·s, sitôt remplacé·e·s par des marabouts aux danses amples et cosmiques. La musique dégage une spiritualité rare, les breaks sont étourdissants de longueur, c'est un sacré choc.

Autant dire que depuis, chaque sortie du label est scrutée et attendue, et n’a jamais déçu. Après des sorties locales et un petit détour par Lyon (le duo Ricco avec leur élégiaque Visitations), Worst Records sort Ombre, le premier LP des Italiens de Tamburi Neri, accompagnés de la chanteuse japonaise Hiroko. Pas étonnant que le pays d’Il Cavaliere ait suscité l’intérêt des gourous ligériens quand on sait que ce serait lors d’un « sombre week-end en Italie » que le label a vu le jour, mais aussi du fait d’une bouillonnante scène animée par des collectifs comme Ivreatronic.

Cette huitième sortie est d’une cinégénie considérable et riche d’un imaginaire foisonnant. On évolue dans un genre nouveau, entre science-fiction, monde rétro futuriste gouverné par des oracles, et thriller érotique. Contrairement à Meta Romance d’A Strange Wedding où les vocales venaient se déposer sur les compositions électroniques, la musique des Italiens se construit autour des voix. "Ama" et son rire démoniaque qui évoque le giallo, "Il Buio" et son spoken word dramatique qui sonne comme une voix off, le mariage des sonorités celtiques avec le chant d’Hiroko dans le titre introductif, "Barritono" et ses onomatopées entre scat et lettrisme qui ravive les syllabes comme outil d’avant-garde. Ombre impressionne de variations dans son usage des cordes vocales.

Le disque souffre malgré tout d’un paradoxe. Celui d’afficher une science du break imparable, de maîtriser les montées en tension au sein des morceaux individuellement, tout en nous laissant – comme un·e beauf en manque de drop – sans véritable climax. Ce léger manque de rythme n’anesthésie pas la sensation d’amplitude que procure l’écoute d’Ombre. Sentiment amplifié par les moments d’accalmie, où les basses ont presque disparu, ne laissant plus que des voix drapées dans des nappes. Au fur et à mesure des écoutes, on ne retient presque que la texture des chants et des paroles. Pas besoin d’a cappella ostentatoire pour atteindre le frissonnement cutané, Tamburi Neri ornemente copieusement et fait plutôt le pari de positionner la voix en chef d’orchestre, dictant le tempo et influençant chaque son dans son intensité et son interprétation.

Le premier album des Italiens fascine quand il se permet de plonger la tête la première dans l’introspection, quand il délaisse l’aspect physique du downtempo pour te pénétrer la boîte crânienne, et la transformer en grotte chaude peuplée de serpents perdue dans une calanque sicilienne, où tu n’as qu’une seule envie, t’asseoir en tailleur et faire un appel à la lune pour pénétrer ton for intérieur. En somme, un disque qui aura plus de succès chez les adeptes de Bhagwan que chez les clubbeur·se·s invétéré·e·s.