Good News

Megan Thee Stallion

1501 Certified Entertainment & 300 Entertainment – 2020
par Ludo, le 3 décembre 2020
7

Nous n'avions pas caché notre déception lors de la sortie en mars dernier de Suga, le proto-album de Megan Thee Stallion. Trop calibré et manquant cruellement de consistance, ses compromis entre pop et R'n'B ne faisaient pas honneur à la claque qu'avait été la mixtape Fever en 2019. Mais ce petit encas n'était en fait que l'apéritif d'un plus gros festin à venir, le fameux premier album de l'auto-proclamée Hot Girl Meg prête à tout pour nous réchauffer le cœur en ce début d'hiver confiné.

Huit mois plus tard, l'évolution dans la bon sens est notable : la Texane a remixé son "Savage" avec Beyoncé, elle a collaboré avec Cardi B pour ce qui sera probablement le tube de 2020, et elle a même embrassé le côté militant du mouvement Black Lives Matter en prenant la défense des femmes noires suite au meurtre de Breonna Taylor. Une prise de position qui a d'ailleurs pris un tournure très personnel lorsqu'en juillet dernier Tory Lanez lui a tiré dessus à plusieurs reprises à la suite d'une soirée trop arrosée. Alors qu'elle se remet tout doucement de cette agression, Megan découvre avec stupeur les moqueries dont elle est l'objet sur les réseaux sociaux. Mais la chanteuse ne cède pas à la colère, elle va même la sublimer dans une tribune publiée par le New York Times. Elle en fait également un morceau qui reprend la production du "Who Shot Ya" de The Notorious B.I.G.. Si ce dernier avait été dans les années 90 le catalyseur de la guerre East Coast - West Coast (2 Pac pensait que Biggie se moquait de la fusillade dont il avait été victime), le morceau "Shots Fired" s'avère être moins l'allumette qui allume la mèche que la grenade elle-même. Sa saillie finale "Should've let them lock your ass up" conclut sobrement un beef qui n'avait pas lieu d'être. Point à la ligne.

Passé ce moment chaud qui correspond d'ailleurs au climax très précoce de ce "Good News", la suite du projet se révèle beaucoup plus récréative et fidèle aux racines de Megan Thee Stallion. En reprenant ses clins d'œil à la culture slab d'Houston et à la Three Six Mafia, Megan Thee Stallion se remet à rapper ses exploits sexuels sur les productions de Juicy J . Certes, le propos pourrait finir par lasser, mais c'est sans compter sur son goût pour les punchlines truculentes ("All them bitches scary cats, I call 'em Carole Baskins" sur "Body" ou "Let you put your hook in my bumper like a repo" sur "Intercourse"). Le constat est le même concernant son flow, que certain·e·s ont tendance à considérer comme répétitif: en jonglant avec les ad-libs et les changements d'intonation, il parvient à captiver les oreilles les plus averties tout au long de l'album. Et par ailleurs, ne serait-ce pas là la preuve que la rappeuse de 25 ans s'est trouvé un style qui lui est propre ? Pourquoi est-ce que ce même reproche n'est pas formulé de manière aussi insistante à l'égard de son confrère DaBaby également présent sur l'album ? En tout cas, lorsque les deux énergumènes se retrouvent sur le même morceau, que ce soit en 2019 avec "Cash Shit" ou cette année avec "Cry Baby", cela fait toujours autant d'étincelles.

A l'heure actuelle, sortir un album digne des plus grands blockbusters équivaut trop souvent à produire une playlist indigeste qui mélange trop de genres et trop de styles, sans que l'on puisse distinguer le bon grain de l'ivraie. Dans cette perspective, il est grisant de voir une artiste comme Megan Thee Stallion refuser de se plier à un tel cahier des charges pour rester fidèle à ses racines ("I ain't for the streets, 'cause bitch, I am the street" clame-t-elle sur "Outside") et à son CV de freestyleuse ("Why I gotta prove myself to bitches that I’m better than?/ As if I wasn't at radio stations goin' Super Saiyan" se vante-t-elle sur "Go Crazy"). Aussi, Good News est la preuve que même au plus haut niveau, il est encore possible pour une artiste de sortir un disque qui lui ressemble et l'amuse. Et puis au final, ce premier "album" de Megan Thee Stallion se veut avant tout authentique, parfois spectaculaire, mais surtout honnête dans sa direction artistique. Zéro temps mort, zéro raté, zéro concession, l'album est une ode à la fête, au twerk, et à l'empowerment sous toutes ses formes. En un mot comme en cent, une réussite.

Le goût des autres :
7 Émile 7 Ruben