From The Visceral Abyss

Teitanblood

NoEvDia – 2025
par Simon, le 27 mai 2025
9

Il y a énormément de raisons d'écouter du metal. Énormément de sous-genres qui vont avec, aussi. Et si on décide de descendre encore d'un cran ou l'autre, il y aurait donc forcément toujours un groupe pour chaque moment d'écoute, une sorte d'opportunité permanente pour s’inoculer l'exact médicament qui correspond aux symptômes de l'instant. Si on se cale sur l'impression qu'ont ceux qui n'en écoutent pas vraiment, la musique metal devrait avoir vocation à être sombre, violente, mortifère. Une plongée un peu sérieuse dans le cœur du réacteur montrerait assez vite que les choses ne sont pas aussi claires, comme souvent. Ces attributs se valent pour la plupart, mais n'embrasse pas totalement la réalité des musiques à guitares (plus ou moins) extrêmes. Pour être précis, on parlerait plutôt de son rapport inextricable à la confrontation. La confrontation du corps à son esprit, la rencontre du doute et de la violence, de l'incertain et de la souffrance. De la beauté imparable dans l’ignominie. C'est un monde dans le monde, un environnement de test permanent, qui finit de consacrer chaque disque dans son écoute comme un risque, comme l'opportunité d'une aventure. C'est peut-être ça le metal dès lors, une fois pris dans une formule plus dynamique : la promesse d'une quête à chaque fois renouvelée.

Dans cette logique de mouvement permanent et de confrontation d'un corps fini à une impression plus ou moins extrême (avec l'infinitude qui peut la caractériser), Teitanblood se pose comme modèle quasiment définitif. De sombre infinité, d’extrémisme éclairé et de son rapport au non-dit. Je cherchais comment le dire sans dénaturer l'objet d'une critique musicale, mais on se foutrait presque de savoir que les Madrilènes sont les rois du black/death/noise total depuis quinze ans. Parce que Teitanblood ne nous appartient pas, parce que sa logique est proprement insaisissable. Son esprit et sa technique absurde une fois encapsulés sur disque forment un art suffocant dans la mesure où il n'a pas vocation première à plaire. Teitanblood est une idée, libre et extrême, qui ne prend jamais le soin de t'intellectualiser en tant qu'auditeur. La musique joue de manière totale, sur tous les plans, comme s'il n'y avait pas de chemin retour, mais sans jamais te regarder. A peu de choses près, tu douterais même d'être là. Tu n'es rien pour Teitanblood. Ce décalage crée une distance entre le groupe et toi qu'il est impossible de combler selon un parcours classique. From The Visceral Abyss ne se maîtrise pas, on ne s'y habitue jamais vraiment. Les écoutes répétées ne changent rien, il y a une énorme part du mystère qui ne se lève jamais avec eux. Teitanblood n'existe que comme une matérialisation d'une certaine idée du chaos, absolue et organique.

Tout ce charabia peut paraître meta, mais le groupe ne l'est pas moins. A un certain niveau d'extrême, les mots eux-même ne veulent plus rien dire. Quand la démarche musicale est tellement pure qu'elle touche quelque chose en dehors de son objet, les repères traditionnels ne fonctionnent plus tout à fait à l'endroit. Teitanblood devient alors un objet de projection mentale, qui revoit la notion de titres, de séquences, de compréhension des musiques extrêmes. Il n'y a plus de black, de death, de thrash ou de powerviolence. Il ne reste que la haine, la noirceur, le désespoir et l'absolue nécessité d'écrire en leurs noms. On touche alors le cœur de la confrontation, le cœur nucléique de cette musique des Enfers. On est Robert Olmstead qui mesure sa petitesse devant l'immensité du mythe de Cthulhu, on est la démence, l'impossibilité de se sentir considéré, l'horreur qui se dresse entre nous et le monde des idées. From The Visceral Abyss est un objet impie, condamné à provoquer de la souffrance dans les cœurs, de l'incompréhension dans la tête, un Necronomicon impossible à déchiffrer. Il est la pureté du vice, la réalisation du mauvais esprit dans ce qu'il a de plus repoussant et méchant. Il est le feu noir qu'on ne peut maîtriser, la matière qui ne se domine jamais. Il est la confrontation totale et la sombre aventure. Teitanblood est le metal dans sa forme la plus pure.

Le goût des autres :