Bottomless Pit

Death Grips

Harvest Records – 2016
par Quentin, le 20 juin 2016
7

Groupe plus imprévisible qu'une partie de pile ou face en 18 manches, Death Grips aime innover, cultiver l'inattendu. Dans cette optique, une plaque de Death Grips, ça tombe d'un coup et ça rentre dans le lard.

Reste qu'il y a quelque chose de contradictoire dans ce qu'on raconte. Comment un truc en apparence aussi barbare et soudain que Death Grips se retrouve adulé, voire attendu par la masse ? Comment des mecs qui foutent des bites sur leurs pochettes font-ils la hype ? Et comment ces mêmes mecs qui sortent des albums gratuits au nez et à la barbe de leur major sont-ils crédibles au yeux du plus grand nombre ? En résumé, comment des mecs qui semblent tout faire pour ne pas y arriver deviennent-ils des parangons de réussite ?

La réponse se trouve dans La société du spectacle de Guy Debord. En résumé, l'idée principale réside dans la comparaison de la société moderne à un immense spectacle permanent. Tout le monde joue un rôle, tout le temps. Rien n'est subversif car tout est divertissant. Un tour de passe-passe ingénieux qui permet de faire passer les idées les plus contraires au système comme faisant partie de ce même système. Une fois le "Anarchy In The UK" des Sex Pistols passé au Kärcher, qu'est-ce qu'il en reste, si ce n'est des t-shirts H&M. Après, faire partie du système n'empêche pas de jouer avec les codes de celui-ci. Ce qui nous amène précisément au cas Bottomless Pit, un projet d'aspect sale et brutal, produit dans la plus grande insouciance et qui parvient pourtant à séduire. 

Bottomless Pit nous présente Ride (Stefan Burnett), Flatlander (Andy Morin) et Zach Hill dans leur projet le plus cohérent depuis The Money Store, leur petite tuerie de 2012 pour laquelle on s'était enflammé. Entre cette sortie et celle qui nous intéresse ici, il s'est passé un paquet de trucs - une pseudo-rupture, des concerts annulés et des albums pas toujours très efficaces. Alors qu'est-ce qui fait de Bottomless Pit un LP si percussif ? Premièrement, un format plus court, avec des titres tournant principalement autour des 3 minutes - soit un timing largement suffisant pour cerner la rage qui habite le groupe. Deuxièmement, et malgré les fausses apparences, cet album se révèle plutôt accessible. Pas dans le sens de l'easy listening mais dans celui d'une esthétique moins rugueuse que sur certaines de leur productions précédentes. Des titres plus structurés - "Eh" en tête de liste - poussent le portes de l'underground pour y laisser entrer quelque chose de plus catchy.

Le groupe ne renie pas pour autant son fond de commerce et, en bon masos, on se délecte toujours de la rage misanthrope de Ride. Hill maltraite les fûts version grindcore tandis que Flatlander délivre des prods intenses ("Hot Head", "BB Poison"), violentes ("Warping", "Ring A Bell") et parfois plus groovy ("Trash", "80808"). Entre les claques assénées par le MC et les productions massives servies par les deux autres lascars, chanceux seront ceux qui s'en sortiront indemnes. Mention spéciale à des titres comme "Spikes" ou "Three Bedrooms In A Good Neighboorhood" qui nous rappellent que l'équation métal/hip-hop ne mène pas forcément à Limp Bizkit

Mon royaume pour celui qui me dira à quoi ressemblera le prochain album de Death Grips. Le groupe se targue d'être en évolution constante d'un disque à l'autre. Ça manque parfois de cohésion mais avec Bottomless Pit, on retrouve un disque plus abordable mais qui ne sacrifie pas son audace et sa puissance sur l'autel de la pop. Maintenant, vu les précédents faits d'armes de ces zouzous, difficile de dire si cet album sera un chapitre déterminant, un nouveau début ou une simple passade dans le plan élaboré par Death Grips, à supposer que ledit plan existe... 

Le goût des autres :
8 Côme 7 Antoine