Black Girl Magic

Honey Dijon

Classic Music Company – 2022
par Émile, le 29 novembre 2022
8

On dit souvent que la nostalgie, c’est le souvenir triste d’une joie passée. Mais c’est peut-être aussi plus subtilement le signe d’une crainte. Un indice que quelque chose qui semble pouvoir s’arrêter nous tient à coeur. Même pour celui ou celle qui aime que tout change, il existe une appréhension à l’idée qu’une musique n’ait pas survécu aux espoirs qu’on plaçait en elle. Si seulement le ska avait... non je déconne.

Mais être fan de house, voilà le plaisir ultime ; le confort absolu du sentiment légitime qu’à chaque fois que cette musique pourrait disparaître ou même prendre une forme qui la métamorphose définitivement, elle revient, encore et toujours. Comme si elle avait pris de son nom de foyer une énergie qui ne quitte jamais complètement les humains qui l’ont côtoyée.

Pour Honey Dijon, native de Chicago, la house doit jouer un rôle de pierre angulaire pour son identité. Passée de Chicago à New York, elle en a d’ailleurs suivi le même trajet, sur les pas de Franckie Knuckles et Larry Levan. Mais depuis Larry Levan, la house a changé et Honey Dijon incarne merveilleusement ce changement.

Il y a cinq ans, dans Best Of Both Worlds, elle en reprenait quasiment toutes les aspérités. La proéminence des samples de soul, la potentielle douceur du kick, la lenteur de certains morceaux; son premier album faisait la démonstration de la capacité de la house à tout ingérer, à tout transformer en une pâte à modeler jeune et énergisante. Dans Black Girl Magic, le champ des possibles s’est resserré. Il ne s’agit plus de donner à entendre l’étendue de la puissance de cette musique, mais bien de l’utiliser dans un registre plus restreint, celui de la fête. Le disque entier est un plateau de ballroom, avec un kick toujours très prononcé, un BPM élevé et des velléités assez claires de faire bouges les culs.

On retrouve évidemment les samples de funk, soul, de jazz (!) ou de pop des années 1980, les tambourins et les shirleys agités, mais la musique de Honey Dijon se construit cette fois comme une sorte de toile de fond sur laquelle vont pouvoir venir s’exprimer une série d’artistes. Black Girl Magic est en quelque sorte conçu comme un plateau de danse et de poésie, laissant passer sur des titres relativement similaires toute une série de propos et d’intentions. Au cas où vous n’auriez pas encore lancé l’album, il faut savoir que l’intégralité des quinze titres sont des featurings : on y retrouve des musicien·nes plus ou moins connu·es, et dont la côte de popularité ne dicte d’ailleurs étonnamment pas le nombre de lectures sur le morceau. Pourquoi le public de Eve n’écoute-t-il pas ce génial refrain au mélodica sur « In da club » ? Mystère.

Musicalement, si Black Girl Magic ne retrouve pas l’éclectisme de son prédécesseur, et propose même une certaine redondance sur sa première moitié, le disque révèle de véritables bombes. On pense au très ballroom « La Femme Fantastique» avec John Caffe, ou à l’hymne à la liberté et à la sensualité qu’est « Don’t Be Afraid » avec LATASHA. Évidemment, difficile de ne pas voir dans Black Girl Magic un miroir à la participation de Honey Dijon à RENAISSANCE plus tôt dans l’année. Et si personne n’égale Beyoncé dans les participant·es, la proposition musicale y est plus libre. Scène ouverte pour un groupe d’artistes, miroir d’une société et de ses questionnements, cet album est la vision de 2022 d’une boule d’énergie lancée à travers le temps depuis presque quarante ans, et qui trouve toujours autant d’actualité. Honey Dijon s’y fait tantôt cheffe d’orchestre, tantôt soliste de productions qui font honneur à l’histoire de la house.