Bitter Rivals

Sleigh Bells

Mom & Pop – 2013
par David V, le 21 octobre 2013
5

Il ne faut pas essayer d'aller trop loin quand il s'agit de faire une critique du nouveau disque de Sleigh Bells. Elle existe cette tentation de partir dans des explications alambiquées concernant la problématique des artefacts et de leur pertinence artistique, ou de divaguer sur les implications musicales de la décentralisation des réseaux industriels. Mais il vaut mieux rester pragmatique quand on parle de hipsters à skateboard. Bitter Rivals ne dépasse pas le statut d'album raté qui confirme bien malheureusement le vide réel d'un groupe ayant suscité un intérêt démesuré grâce à un premier album qui était un moment de grâce. Treats, sorti il y a seulement trois ans, rassemblait une belle collection de chansons efficaces qui parvenaient à rassembler des éléments piochés un peu partout tout en évitant le piège de la banalité grâce à une vision singulière de la production musicale : à fond sur la distortion ! Une batterie d'effets s'employait sans faiblir à éliminer systématiquement du spectre la plupart des fréquences auditives pouvant donner un peu de rondeur et de douceur. Le bonbon pop devenait tout à coup salé et râpeux dans la gorge et cela le rendait inoubliable. Après une telle réussite, le duo de Brooklyn a préféré rentabiliser sa notoriété en multipliant les projets, en vendant sa musique à des films et en signant des contrats pour de la publicité.

Après un deuxième album bâclé (Reign of Terror en 2012), en voici un autre tout aussi peu réfléchi. Bitter Rivals offre dès le départ un échantillon représentatif du cruel manque d'idées et d'efforts du groupe, un riff simplet est vite couvert par des tonnes d'overdrive et de beats compressés avec comme accompagnement quelques couinements difficilement déchiffrables. Comme des gosses trop gâtés, Derek Miller et Alexis Krauss ont refusé de faire leurs devoirs. La chanteuse n'arrive jamais vraiment à construire une chanson et quand, sur "Sugarcane", elle parvient à poser une mélodie vocale plutôt réussie, tout part en fumée lors d'un refrain inepte seulement composé d'une formule répétée sans conviction ("Be Aware! Be Aware!"...). N'ayant aucune direction claire, Krauss semble souvent improviser devant le micro et balancer la première chose qui lui passe par la tête, jusqu'au ridicule sur "Minnie". La mise en son, assurée par Miller, est aussi faiblarde et ressasse la formule déjà épuisée de la gonflette bruitiste avec comme seule aventure de parfois mettre en avant les claviers plutôt que les guitares, sur "Sing like a Wire" notamment. Certains morceaux donnent carrément l'impression d'être des démos comme "Young Legends" qui pourrait être une bonne chanson de pop électronique si elle parvenait à sortir d'une nullité ryhtmique qui oblige tous les éléments sonores à suivre le même pattern jusqu'à l'ennui.

Malgré tous ces mauvais points, les petits filous savent quand même ne pas se prendre trop au sérieux, ont un certain oeil pour se présenter avec des visuels assez classes et se contiennent sur un format très court (une dizaine de chansons de trois minutes). Il faut noter "Tiger Kit" qui met en scène des sons soufflés à l'hélium, on est chez Sleigh Bells, mais en leur donnant de la place pour qu'ils puissent marquer des contrastes. C'est clairement le moment le plus travaillé de l'album. Encore plus intéressant, "To Hell with You" est une jolie ballade un peu acide (ça ressemble à du Kelis) et c'est exactement le genre de filon que le groupe aurait du creuser plus profondément : les doigts claquent, la batterie rebondit et les paroles font mouche. "Don't turn your back on me, wait and see... I'll go to hell with you, here's the proof." Un beau moment prolongé sur "24" mais oublié à la conclusion de l'album avec un nouvel empilement de synthés Casio, de gratte électroniquement sèche et de clips vocaux sans aucun lien entre eux.

Bitter Rivals montre toutes les limites d'une démarche qui, en préférant jouer sur le bricolage autarcique et la rumeur branchée, empêche la recherche d'inspiration. Alliance de circonstance entre un ancien guitariste de hardcore et une chanteuse déchue de girlsband pour pourvoir survivre en pillant les buffets de vernissage des galeries de New-York, Sleigh Bells ne pourra bientôt plus intéresser personne sans se doter de véritables ambitions musicales.