The Scarlett Beast O' Seven Heads

Get Well Soon

City Slang – 2012
par Michael, le 11 septembre 2012
9

Vous connaissez la zlabia ? Cette petite pâtisserie orientale orange au miel et à la cardamome ? La première fois qu’on y goûte, on trouve ça trop sucré et écœurant. Et puis ma foi on y revient, et au final on regrette de ne pas en avoir acheté deux ou trois de plus au libanais du coin. Les albums de Get Well Soon, c’est un peu pareil. A la première écoute, ça semble trop chargé, trop lyrique, ça débordede partout. Mais sans trop y croire, on succombe petit à petit à tous les fastes et au baroque que s’autorise cette musique.

A l’exception du premier album, qui nous avait séduits d’emblée par sa fabuleuse collection de symphonies de poche, Vexations et le mini LP Songs About The Glaciation laissaient une première impression de déception, comme si Konstantin Gropper s’était perdu dans des concepts et des lubies trop grands pour lui et trop ennuyeux pour nous. Nous n’avions tout simplement pas compris qu’on ne séduit pas la Princesse de Clèves comme la blonde décolorée du bar du coin de la rue. C’est d’autant plus le cas de The Scarlet Beast O' Seven Heads. Sur Vexations, le type même de l’album qui s’écoute au long cours, on décelait toutefois à la première écoute quelques petites saillies qui chatouillaient gentiment la pompe à plaisir. En revanche sur ce dernier album, ce n’est point le cas. L’ensemble semble tellement inextricable et dense qu’on n’arrive pas à en déceler le moindre détail.

Il faut donc plusieurs écoutes pour venir à bout de la bête écarlate à sept têtes et pouvoir porter un véritable jugement. Et le charme opère une nouvelle fois. Petit à petit, on discerne les contours, les formes et les enchantements qui se dérobaient à notre regard. Vexations était un album construit autour des philosophes antiques de manière très fouillée et documentée. On ne doute donc pas que Konstantin Gropper maîtrise parfaitement son mythe de la caverne de Platon, avec lequel on oserait presque un parallèle avec cette musique accessible une fois libéré des entraves et des réflexes passifs de la consommation de masse et abêtissante du monde moderne.

Pour ce troisième album, notre jeune Allemand a choisi de plonger dans son caprice d’enfant, à savoir la musique de films. Un penchant très certainement encouragé par l’expérience Xanadu, la série télévisée d’Arte dont Gropper a réalisé la BO en 2011. Les références sont foison : Ennio MorriconeNino RotaHenry ManciniLeonard BernsteinGoblin et Claudio SimonettiRiz OrtolaniBruno Nicolai ou Bernard Herrmann. L’album passe en revue le spectre du passionné de cinéma, de western spaghetti, de polar hitchcockien, de comédies musicales américaines des années 50 mais aussi de giallo - l’album est d’ailleurs sous-titré en italien La Bestia Scarlatta Con Sette Teste et le clip de « Roland, I Feel You » regorge de références, notamment à Barbarella et au cinéma de Jodorowsky. En toile de fond, Gropper nous dit s’être inspiré de l’Apocalypse et du battage grotesque dont nous sommes quotidiennement abreuvés depuis un an. C’est ce qu’indique d’ailleurs de manière explicite et non sans ironie le titre de l’album ou l’interlude « Let Me Check My Mayan Calendar ».

Dans le détail et sur la longueur, ce nouvel album révèle donc une nouvelle fois une manne de joyaux mirifiques, en particulier l’enchaînement de rêve de « The Last Days Of Rome », « The Kids Today », « Roland, I Feel You » et « Disney ». Gropper y déploie sans complexe une palette d’arrangements, tel un gamin surexcité qui découvre sa montagne de cadeaux au pied du sapin : avalanches de cordes, de cuivres, de chœurs, de percussions en tous genres, de claviers analogiques, et on en passe. Mais ce qui pourrait rapidement passer pour un caprice d’élève surdoué se révèle au final bien plus intéressant qu’un simple exercice de style stérile et vaniteux. Pourquoi ? D’abord parce que le sujet est parfaitement maîtrisé, ensuite parce qu’on sent un véritable respect et une grande humilité face à des influences si évidentes et enfin parce que les morceaux sont excellents, tout simplement. La deuxième partie est quant à elle plus posée et s’apprécie dans son ensemble, mais se révèle tout aussi intéressante au fil des écoutes. On retiendra en particulier la féérique « Just Like Henry Darfer » et sa coda en chœurs féminins et le final « You Can’t Cast Out The Demons (You Might As Well Dance) », dans une veine plus électronique avec une conclusion tout en crescendo comme les maîtrise si bien Gropper.

The Scarlet Beast O' Seven Heads est donc un album totalement en phase avec sa pochette grandiloquente. Un disque résolument moderne dans les thèmes abordés mais avec un goût de fin de règne, de décadence exacerbée par sa foison d’ornements. C’est donc d’une certaine manière un exemple a contrario par rapport à la caverne platonicienne: jouer avec les artifices afin de mieux révéler leur vraie nature. Et toucher l’essentiel sous la couche de vernis. Quel petit malin, ce Konstantin!