Sinister Grift
Panda Bear

Sacré coup de vieux pour le vieux cul que je suis devenu : Person Pitch est sorti il y a dix-huit ans. A l'époque j'avais vingt ans, je bandais dur mais surtout je ne pensais pas que j'adouberais un jour le chanteur du meilleur groupe d'indie-pop du monde de l'époque. En 2007, les débuts en solo de Noah Lennox sonnaient comme une bizarrerie psyché-pop génialement lo-fi et expérimentale (oui, on sait, « Bros » est un chef d'œuvre), célébrée à la hauteur de son génie dissonant par des cercles indés finalement assez restreints. Ce qui aurait pu être une parenthèse au succès d'estime satisfaisant est devenu en presque vingt ans une success story : Panda Bear est aujourd'hui une star et ses albums sont presque plus attendus que ceux des désormais pas-toujours-essentiels Animal Collective. Cet homme réussit absolument tout, et ça tient du miracle pour ce qui ne restera jamais que le meilleur cover band de Brian Wilson.
Vous pouvez me l'expliquer comme vous voulez, vous pouvez danser sur votre tête et me le demander dans toutes les langues : il n'y a absolument aucune différence entre Panda Bear et le leader de The Beach Boys. Même dégaine vocale, même orchestration, même travail sur la polyphonie, même attaque sur les refrains, même narration et surtout même efficacité en toutes circonstances. Ces deux-là sont jumeaux artistiquement. Alors évidemment si je vous parle de groupe de reprises, nous ne sommes pas ici sur le travail indigent d'un Red Hot Chili Pipeurs ou de Taylor Switch. En 2025, Noah Lennox concrétise une sorte de perfection de son système – qui n'est pas vraiment le sien, tout compte fait – et déroule avec toute l'aisance du monde sa bande-son d'un été plus compliqué qu'il n'y parait à première vue.
En bon roi du tragi-comique (tout comme Brian Wilson, tiens donc), Panda Bear décide avec une précision incroyable quelle est la tonalité à donner à sa dream pop psyché, passant du rire aux larmes en un battement de cils. D'ailleurs, si la première moitié du disque est destinée à finir sur toutes les bonnes playlists de l'été, on glisse rapidement dans la sombritude des choses - notamment sur le triplé « Venom's In »/« Left In The Cold » / « Elegy For Noah Lou » génialement lugubre. Cet aller-retour entre insouciance et gueule de bois (qui rappelle étrangement le Surf's Up... des Beach Boys) se nourrit probablement du récent divorce de notre nerd devenu modèle de coolitude. Une histoire de famille en clair-obscur qui permet à sa fille de chanter (magnifiquement) en portugais sur le très beau « Anywhere But Here », et qui fait de sa dépression une nécessité, une seconde nature.
Sinister Grift est un disque qui ressemble à la plus belle contrefaçon des Beach Boys que vous pourrez trouver sur le marché. Absolument impeccable dans sa manière d'amener son art pop vers des sommets de simplicité, Panda Bear regarde désormais le monde d'en haut, en étant tout en bas dans sa tête. Avec la facilité des grands qui ne semblent jamais rien forcer, l'Américain déroule trois quarts d'heure de beauté psyché-pop aux implications toutes personnelles, touchantes et infiniment vivantes. Le meilleur album que Brian Wilson ne sortira pas cette année.