Psalmus Mortis
Retromorphosis

On l’évoquait au moment de chroniquer le dernier album de Misanthropy, le tech death manque souvent de ce quelque chose pour véritablement nous convaincre. L’absurde de la technique pour la technique technicienne peut-être, mais surtout l’impact total que cette obsession peut avoir sur la manière d’écrire des morceaux de qualité. Si nous évoquons avec la plus grande des prudences cette notion de qualité, c’est bien au sens de la séquence narrative que le death metal furieusement technique a tendance à caler comme une vieille Volvo dans une côte.
Ça tombe bien parce que c’est tout ce que Retromorphosis n’est pas. Ni la Volvo, ni la formation qui tombe dans le piège de la technique stérile. Est-ce véritablement un hasard quand on sait que Retromorphosis est né sur les cendres de l’essentiel Spawn Of Possession, groupe suédois ayant scarifié le death technique pendant trente ans de son empreinte, défunt en 2017 et réactivé (créativement, du moins) en 2022 par son guitariste Jonas Bryssling. Et pour l'occasion, quatre des cinq membres de Spawn ont fait le trajet pour ressusciter la bête avec un véritable faux-premier album.
Mais tout cela nous éloigne du sujet. Le vrai, qui consiste à dire que Retromorphosis n’a pas oublié que dans death metal technique il y a aussi death metal. Beaucoup de death metal, même. Disons que Retromorphosis s’arrête pile au bon endroit. Si l’intellectualisation du tech death amène souvent les musiciens à considérer le moment qui suit logiquement comme insuffisant - d’où le recours à d’inévitables contre-pied, qui se révèlent à leur tour insuffisant, d’où l’ajout d’une nouvelle modification structurelle, le tout décliné à l’infini - les Suédois ont cette immense qualité de stopper la machine à se branler au bon moment.
Le résultat est immédiat : Psalmus Mortis est une bombe de narration sombre, une machine taillée pour l’écoute en rotation lourde. Et il en faudra déjà pas mal des écoutes pour arriver au bout de la technicité de ce premier album. Véritable condensé de virtuosité nerveuse, Psalmus Mortis n’enchaîne que les bonnes idées, les grooves absurdes - on remercie pour ça le nouveau batteur, qui semble avoir huit bras, et bien entendu le recours continu à la guitare basse sans frette, assurant ce son si jazz et si rondement métallique.
À ce stade a-t-on encore besoin de vous dire que le duo de guitaristes (qui comprend Christian Muezner, ex-Obscura) nous refait le coup de la pyrotechnie pure : oui ça explose de partout, oui c’est fantastique et oui ces mecs sont absolument injouables sur leur terrain. À ce stade ce n’est plus du death metal, c’est la dernière production de Franco Dragone.
Mais là où ça pourrait devenir illisible, Retromorphosis soigne son sens narratif à l’extrême, ajoutant même un léger voile gothique là où il faut, s’assurant par là un contenu hautement cinématographique malgré la violence de celui-ci. Parce qu'évidemment, Retromorphosis a passé une mauvaise journée, évidemment qu’il cultive la mort et le désespoir comme art de vivre et donc évidemment que ça tabasse un maximum. Et c’est finalement ça qu’on aime.
Disons que ça tape partout avec une intelligence rare et que ça ne se perd nulle part en chemin. Ce qui est une performance assez incroyable quand on se prend à observer l’étalage technique du bazar. Psalmus Mortis n’a à proprement parler aucun défaut, il est l’héritage de Spawn of Possession dans une version condensée, revue dans son rapport à la concision et à l’efficacité pure. Un coup de maitre évident.