Praise A Lord Who Chews But Which Does Not Consume; (Or Simply, Hot Between Worlds)

Yves Tumor

Warp Records  – 2023
par Tariqg, le 19 avril 2023
8

Ces dix dernières années, la musique d'Yves Tumor a toujours su fasciner par sa complexité et son caractère inclassable ; et chaque album n'a fait que contribuer à amplifier le phénomène. Sean Bowie (oui, oui) l'a martelé en amont de la sortie de ce nouvel album : Yves Tumor est un avatar, une personnalité qu'il "maquille" en icône excentrique. Et c'est sous les traits de ce Ziggy Stardust 2.0 qu'il livre Praise A Lord Who Chews But Which Does Not Consume; (Or Simply, Hot Between Worlds), projet multipliant les influences et les genres, à l'esthétique folle et l'ambiance insurrectionnelle. Cette atmosphère sombre et cryptique, Yves Tumor la maîtrise comme jamais sur ce cinquième album donnant l'impression d'être sorti d'un film du cultissime réalisateur Ray Dennis Steckler (un autre spécialiste des titres à rallonge), ce qui contribue à mettre en évidence l’étrangeté du concept de popstar, que Sean Bowie s'attache à décortiquer tout au long du disque - c'est d'ailleurs le propos du très bon « Parody », porté par des guitares grinçantes et des parties vocales fournies par The Samples, la chorale magique du Sunday Service de Kanye West .

Au lieu d'incarner une parodie de popstar, Sean Bowie réinvente ce concept, en reprend les codes et les détourne au point de les rendre profondément effrayants, presque glaçants. Dans un sens, ce disque - le troisième pour Warp déjà - n'est pas sans rappeler le Rabbits de David Lynch, cette courte série du début des années 2000 détournant à l'extrême les codes de la sitcom télévisuelle pour mettre en lumière de la manière la plus évidente leur inquiétante étrangeté. Si on sent la volonté de l'artiste de produire un disque éminemment pop et d'apparence très conventionnelle (le groove parfait de « Echolalia » rappelle instantanément le « Smooth Criminal » de Michael Jackson), les parties vocales viennent brouiller les pistes et créer un son nouveau. Cette approche inonde le disque, mais elle saute particulièrement aux oreilles sur le très bon « Lovely Sewer » en duo avec Kidä : sous le vernis expé se loge un titre plus conventionnel qu'une collaboration entre The Weeknd et Ariana Grande. Cette esthétique à mi-chemin entre dream pop et neo-psychedelia n'est pas sans rappeler le monumental The Soft Bulletin des Flaming Lips, mais il faut ajouter ici l'influence de la musique Motown qu'écoutait sa mère, des groupes sudistes des années 70 et du rock and roll des années 50.

La tambouille qu'il nous est ici donné de goûter est épaisse mais le cuisinier est plus proche de Philippe Etchebest que des pauvres gens qu'il éparpille façon puzzle dans Cauchemar en cuisine. Et s'il est vrai que la proposition peut sembler moins radicale que ce qu'il nous proposait à ses tous débuts sur le label allemand PAN, Yves Tumor ne s'est en réalité pas assagi, et sa volonté de repousser ses propres limites est intacte. Autrement dit, il est devenu plus visible mais pas plus lisible. Et c'est, plus que jamais, sa plus grande force.

Le goût des autres :