Moussa

Prince Waly

BO Y Z – 2022
par Amaury, le 29 septembre 2022
9

Le prince est toujours parmi nous.

Une phrase qui pourrait n’avoir aucune résonance si elle ne se prononçait pas dans un certain contexte. Moussa, aka Prince Waly, rappeur préféré de ton rappeur préféré, revient de loin : peu de temps après avoir sorti son album BO Y Z, en 2019, on lui diagnostique une forme grave de cancer de la gorge. Le succès, si proche, se convertit en une longue traversée du désert, pour une absence dont l’artiste ne brisera jamais le silence, même sur les réseaux où la moindre image aurait pu faire taire les fantômes de sa carrière en suspens.

Le prince est toujours parmi nous.

Comme pour signer la fin de cette éclipse tragique – trois ans plus tard –, comme pour reprendre les choses là où ils les avaient laissées, cette phrase prononcée par Arthur Teboul, voix de Feu! Chatterton qui avait justement clôturé BO Y Z, vient ouvrir ce nouvel album Moussa avec un message clair : Prince Waly revient, et il est en mission. Il s’agit pour lui de vivre et d’embrasser enfin la réussite, en élargissant son succès d’estime. Néanmoins, ce Prince a changé. Plus mature, plus ému et fragile, plus intime, le phrasé percutant qu’on lui connaissait arrête un instant de crâner ; Moussa ne sera pas seulement un disque de démonstration.

S’il fallait d’ailleurs le qualifier en un seul mot, à la rédaction, nous aurions choisi le suivant : beau. Cet album propose en effet une beauté comme il en existe peu dans la discographie rap, avant même de souligner ses autres qualités, souvent techniques. L’élégance des productions, leurs subtilités comme leurs diversités et variations sobres en font un disque davantage beau que bon, ce qu’il est aussi, évidemment.

Elles éblouissent surtout par leur élasticité. Les trois premiers morceaux, « Bleu », « Walygator » et « Avertisseurs (Part II) » aveuglent par la finesse de leurs transitions, entre passages boom bap et flux indie pop ou rock, tout se mélange grâce au travail d’orfèvre qu’ont notamment livré les producteurs Crayon, JayJay et LamaOnTheBeat. Derrière, Waly impressionne toujours plus par sa découpe agressive qui se mue plus aisément en chant retenu et qui, parfois, perd l’équilibre quand elle convoque sa vie personnelle.

À la suite de cette énième référence aux idoles que sont les membres de Lunatic se pointe « Rottweiler » pour l’une des claques magistrales de cet opus : le maire de Montreuil a carrément réussi à convier Ali – comme avait pu récemment le faire Dinos – mais, pour sa part, il est parvenu à ressusciter l’atmosphère obscure de Mauvais Œil. Un tour de force qui témoigne de son profond amour pour le RAP, présent tout au long du disque, comme le confirme dans la foulée sa collaboration avec Freeze Corleone.

Chaque invité s’insère avec logique dans l’écosystème de l’album, sans calcul cynique. Freeze participe ainsi plus à une passe d’armes qu’à la réalisation d’un banger vénal et creux. Ce constat peut être répété pour Arthur, l’ami du quartier ; pour sa compagne Enchantée Julia, dont la voix omniprésente délivre une mélopée admirable sur « Crash », que vient éclairer un Jazzy Bazz très humble ; pour Luidji et Makala, sur « Problème », qui distillent un groove tellement smooth qu’ils pourraient faire oublier leur énergie punk.

Cette logique de l’échange et de la communion finit de poser un voile fort spirituel sur l’ensemble du projet, qui semble en réalité connaître sa voie, où le rap nostalgique du Prince laisse progressivement place à une musique plus ample, notamment par l’appui de Aayhasis et High Klassified à la production ; à un message apaisé qui côtoie l’universel.

Nous disions que Moussa est un beau disque. Il est permis de dire qu’il s’agit plutôt d’un disque sublime – le clin d’œil à cet autre rappeur dont le dernier album est parvenu à relancer aussi bien la vie que la carrière n’est pas innocent. Il faut néanmoins se méfier de la beauté : il arrive qu’on la contemple parfois bien plus qu’on la traverse, voire qu’elle nous traverse. Prince Waly ne s’est ici pas encore totalement défait de ses amours nostalgiques, du plaisir de la référence et du storytelling façon long-métrage qui sont des exercices au cours desquels il a déjà bien plus brillé auparavant, du temps de Junior ou de Big Budha Cheez. Cette polarité entre discours personnel fragile et motifs maîtrisés plus ordinaires pourrait malheureusement tendre à desservir le projet.

À l’image d’un Disiz avec L'Amour, il est évident que celui-ci marque d’une empreinte forte l’histoire personnelle, humaine et artistique de Moussa. Il nous touche également nous, auditeurs de Prince Waly, dans le rapport que nous entretenons avec cet artiste que nous aimons de cœur, mais délivre-t-il suffisamment de coups au foie ? Les œuvres qui ne marquent pas directement aux tripes peuvent-elles sortir de l’histoire personnelle pour s’imposer dans l’histoire collective ? La finesse et la qualité hors-norme de ce projet parviendront-elles à le sortir des œuvres pour happy few ?

Seul le temps pourra le dire ; en attendant, il est certain que ce disque propose le témoignage le plus réussi de la renaissance d’un homme – de la réincarnation d’un Artiste, dans une meilleure version de lui-même, et pour lequel l’horizon n’a pas cessé de briller.