Memoria

Jazzy Bazz

3.14 Production – 2022
par Yoofat, le 4 février 2022
7

Elle remonte à loin, l'époque des Rap Contenders. L'année dernière, la meilleure ligue de battle de France fêtait (déjà) ses dix ans ! Difficile pourtant d'oublier les deux premières éditions à L'Eclipse, et leur lot de dramaturgie complètement inédit dans le paysage du rap français dévasté de l'époque. Parmi tous ces grands moments, on se souvient notamment de celle de Gaïden adressée à Deen Burbigo, et à tout L'Entourage : "Dans son crew, y'a qu'un seul flow, leur repet', c'est du karaoké sur du Sage Po'"

Mais voilà, elle remonte à loin, l'époque des Rap Contenders. Et si la ligne de Gaïden faisait parfaitement sens à une époque où Nekfeu disait être le "Dany Dan Blanc" sur un morceau appelé "Nique les clones" (sic), le temps a permis à cette belle brochette de MC's de s'affranchir de leurs idoles et de travailler leur spécificité. En 10 ans, Jazzy Bazz est évidemment devenu un autre rappeur, plus affirmé, plus intelligent, plus technique qu'auparavant. Mais dans le fond, le jeune homme au cosplay du Commandant Cousteau aux Rap Contenders 2 est-il si éloigné du bellâtre sapé d'un incroyable cuir Avirex dans le clip de "Panorama"

À plusieurs reprises dans sa discographie, Jazzy Bazz s'est déjà joué du temps. Sur "Berline Noire", il disait notamment " jusqu’à la mort j’s’rai déguisé en adulte", comme pour défier Chronos dans un duel qu'il savait perdu d'avance. Avec le COVID, la vie a pris une teinte plus sombre et de fait, la musique de Jazzy Bazz, qui n'était déjà pas très funky avant qu'on nous force à s'injecter Dieu-sait-quoi dans le bras tous les 6 mois pour aller se pinter la gueule, est devenue plus noire encore qu'un tracklisting de Damso. Memoria emprunte à outrance dans l'imagerie des films d'anticipation et imagine une société au bord de l'implosion dans laquelle les plus fortunés se divertissent en forçant les plus démunis à s'entretuer.

Au milieu du chaos ambiant, Jazzy Bazz nous fait voyager dans ses souvenirs avec une mélancolie qui lui va si bien. Cette dernière, déjà bien présente sur son précédent album NUIT, paraissait alors moins brutale car plus organique et peut-être trop soignée pour cogner comme elle le fait sur "P-Town Blues" par exemple. Ivan raconte ses fautes et ses fiertés dans un triste décor, qui s'écroule au fur et à mesure que le temps passe. Avec les femmes aussi... Tout pourrait s'écrouler, tout va s'écrouler, puis finalement tout s'écroule dans "Sablier", nouveau morceau estampillé L'Entourage (après "Vortex" ou "Galatée" notamment) où le grand Amour est compromis par un mode de vie instable et une passion trop dévorante pour le rap. Le crew avant tout, donc ? En tout cas, L'Entourage est une drôle d'équipe qui partage tant de temps ensemble qu'elle en vient à partager les mêmes peines, mais aussi les mêmes lubies. L'an dernier, Alpha Wann et Nekfeu signaient respectivement "farenheit 451" et "malevil", deux titres inspirés de romans d'anticipation. Un an plus tard, Jazzy Bazz signe un album faisant notamment référence à Akira ou à Blade Runner. A croire que ces fictions permettraient à ces rappeurs d'imiter leur défunt ami L'Homme de L'Est et d'attendre l'apocalypse...

Moins à fleur de peau et davantage dans la maîtrise de son art, Jazzy Bazz injecte du blues dans un rap annonçant la fin du monde à demi-mot. Comme toujours très bien produit (avec notamment Johnny Ola, Astronote ou Loubenski), ce nouveau disque du Joker consolide une manière de faire bien plus qu'il expérimente. Il fait également la part belle aux proches, du nouveau chouchou des MCs de L'Entourage, EDGE, qui apporte un savoir-faire dans les refrains désormais presque indispensable, jusqu'aux copains de toujours que sont Nekfeu, Alpha Wann ou Espiiem que l'on retrouve dans les choeurs de "Zone 19" (on en voudrait évidemment plus de sa part, mais on prendra ce qu'il nous donne). On notera aussi les excellents crossovers avec Josman et Laylow, deux artistes au style radicalement différents du sien mais qui s'intègrent parfaitement dans l'album. Le monde est au bord de l'implosion mais tant que la passion pour la musique le guide, Jazzy Bazz restera finalement ce gosse qui giflait Wojtek à L'Eclipse. Tout bien réfléchi, elle ne remonte pas à si loin que ça, l'époque des Rap Contenders...  

Le goût des autres :