Lost Wonderfuls
Skating Polly
Kelli Mayo et Peyton Bighorse sont demi-sœurs et ont 30 ans. À elles deux. Kelli a 13 ans, Peyton en a 17. Ces deux là forment le groupe Skating Polly et viennent de sortir Lost Wonderfuls, leur (déjà) deuxième album. Il faut dire que la benjamine du groupe venait d'avoir 10 ans à la sortie de Taking Over The World, leur premier album paru en 2010 sur lequel les morceaux, entre comptines dégénérées et hymnes punk rock, sonnaient comme des ébauches de ce qui était à venir sur Lost Wonderfuls. La chose peut paraître anodine : ce sont deux gamines follement éprises (elles le disent elles-mêmes) de Bikini Kill, Babes in Toyland, Beat Happening, Kimya Dawson et Nirvana, et ça se sent. Les codes du rock alternatif sont parfaitement digérés : tout droit sortie des années 90, la musique des Skating Polly dégouline de power chords et le nombre d'accords utilisés dans chacun des morceaux peut se compter sur les doigts d'une seule main mais, hey, c'est ça qui nous plaît. Rapidement repérées par Exene Cervenka du groupe X et par Kliph Scurlock, le batteur des Flaming Lips, qui ont respectivement produit et mixé Lost Wonderfuls, les Skating Polly ont fait la première partie d'artistes à faire pâlir les gamin(e)s que nous étions quand nous avions leur âge : Deerhoof, Holly Golightly, ou Band of Horses. Une vidéo dans laquelle Exene Cervenka et les deux filles expliquent le processus d'enregistrement est d'ailleurs disponible ici.
On n'est ici ni dans la violence du mouvement riot grrrl ni dans la saleté du grunge : c'est tout cela à la fois. Skating Polly assimilent dans leurs jeunes cerveaux tout un pan du rock indépendant américain pour y instiller leur imaginaire particulier et composer des morceaux formidables de simplicité. Sur ce disque, les voix des deux jeunes filles sont tout à fait complémentaires : Kelli aux cordes vocales néophytes peut se permettre de pousser des cris incroyables, et Peyton possède un grain plus grave aux chouettes trémolos. Le morceaux introductif est un faux-semblant tout en douceur, une comptine de moins d'une minute en préambule à toute une série de petits et grands tubes en puissance : "In My Head", "Blue Obvious" ou encore "Lost Wonderfuls" auraient tout à fait pu avoir leur place sur la grille de programmation d'une radio alternative Américaine circa 1994. Il y a surtout sur cet album un instant parfait : le tryptique "Carrots" / "Kick" / "Placer". Carrots et son refrain si espiègle qu'il en devient presque mystique ("Carrots, they're green on the top but they're orange at the bottom") est impeccable et peut rester, c'est un risque, en tête toute la journée. "Kick", qui rappelle les Breeders à l'époque de leur premier album Pod, est une belle et frêle ballade soudée à "Placer", sa siamoise électrifiée.
Il n'est pas évident de sortir un album à ce point référencé et pour autant frais et franc et, en ce qui concerne cette incontestable et irrésistible naïveté, l'âge des membres du groupe y est certainement pour quelque chose. L'air de rien, à force d'écoutes, la plupart des morceaux font preuve d'une véracité mélodique exemplaire et totalement imparable ; c'est un disque en forme d'accroche-cœur, de ceux qui raviront les nostalgiques des 90s, et qui par dessus le marché extasieront les passionnés de binarité facétieuse et de riffs conquérants.