(III)

Crystal Castles

Universal Republic – 2012
par Denis, le 22 novembre 2012
8

Il y a quelques semaines, je pointais sévèrement du doigt le quatrième album de Bloc Party, minimalement intitulé Four, en expliquant que pour se permettre de se passer d’un titre-concept digne de ce nom, il fallait être vraiment maître de son sujet. Du coup, quand Ethan Kath et Alice Glass rappliquent avec un nouvel effort dont le titre est non seulement le nombre trois en chiffres romains (ce qu’on était en droit d’attendre avec le II qui précédait), mais que ce signifiant est en outre relégué dans des parenthèses qui l’euphémisent à défaut de l’effacer complètement, je me dis que c’est vraiment quitte ou double.

Vous me direz que ce genre de prise de tête a quelque chose de nominaliste et que se concentrer sur le contenu de l’album est sans doute préférable à se fixer sur les éléments périphériques, mais le fait est que, dans le cas de Crystal Castles, l’environnement du disque n’est jamais laissé au hasard. En témoigne un artwork directement hérité d’une photo de Samuel Aranda, couronnée par le World Press Photo Award en 2012 : en une actualisation contemporaine du motif de la Pietà, on y voit une Yéménite en niqab réconforter son fils, blessé au cours d’une manifestation contre le pouvoir en place à Sanaa. Cela peut a priori sembler anecdotique, mais l’effacement du titre et la puissance de cette cover annoncent un album tout entier dédié au sentiment d’oppression.

En écoutant les trente-quatre minutes et des poussières qui composent cette troisième plaquette des Torontois, on sent progressivement s’installer une ambiance malsaine, envoûtante et cohérente. Pesante et noire aussi, de cette noirceur de crasse et de nuit qui collerait bien à un film de David Lynch si celui-ci se tournait vers le 8-bit. Mais, pour tout oppressant qu’il soit, ce disque n’en est pas moins terriblement beau, tant le duo parvient à associer la finesse à l’immondice et la légèreté à l’asphyxie. Plus uniforme que les deux premiers albums, où quelques morceaux remarquables se détachaient trop nettement d’un tout délibérément brut, ce troisième essai se distingue par une ambivalente régularité sans sombrer dans la répétition.

Quelques titres, bien sûr, retiennent particulièrement l’attention, à l’image d’“Affection”, à l’écoute duquel on se prend à repenser à la violence dévoilée de l’excellent “Baptism”, mais qui dissipe cette impression au bout de quelques secondes pour révéler une polyphonie doucement sordide où la voix et les cris d’Alice, dérangeant petit animal semblant échappé d’un laboratoire, nous parviennent en échos successifs sur un beat hypnotique. Plus dynamique sans rien perdre de l’effet d’asphyxie provoqué par l’ensemble, “Transgender”, comme une série d’électrochocs sous narcose, fait office de point d’orgue et laisse croire l’auditeur à un débordement sautillant, qui s’interrompt de façon abrupte pour céder la place aux sons peut-être trop clairs de “Violent Youth”.

Hormis cette rupture sans doute volontairement frustrante, l’ensemble de la plaquette est homogène, mais jamais monotone. Par ses distorsions vocales tamisées et ses samples d’Atari crasseux, Crystal Castles tisse une trame à la fois violente et délicate, qui se décline en douze instants salement beaux. La B.O. raffinée d’une projection dystopique ou d’un cauchemar, en somme. Peut-être est-ce ce fil rouge équivoque qui avait manqué jusqu’alors à un duo qui, bien que déjà largement reconnu, prend une dimension supplémentaire avec cette troisième livraison.

Le goût des autres :
9 Laurent 8 Maxime