I Never Felt Nun

EST Gee

CMG/Interscope Records – 2022
par Ruben, le 6 octobre 2022
5

Dans la carrière d’un rappeur, le passage de la mixtape au premier LP marque une étape cruciale, une confirmation que l'artiste a acquis la confiance de son label et qu’il sera, très probablement, bankable. Depuis 2019, EST Gee a sorti 7 mixtapes, soit exactement 100 titres en moins de trois ans - une productivité digne d’un Gucci Mane ou Lil Wayne à leurs plus belles heures. Visiblement, son label CMG a jugé qu’il était mûr pour le grand saut puisque le feu vert a été donné à la publication de son premier album studio, I Never Felt Nun. Avant même de lancer l’écoute, on découvre une liste d’invités beaucoup plus mainstream que sur ces précédents projets, révélant cette volonté de conquérir une audience plus large. Signé sur le label de Yo Gotti, quelqu’un de la maison-mère a visiblement ouvert les vannes de cash pour recruter Future, Jack Harlow, Machine Gun Kelly ou encore Bryson Tiller, qui viendront tous épauler le rappeur de 28 ans. 

I Never Felt Nun rajoute donc 21 titres à une discographie déjà très fournie. Dépassant rarement les trois minutes, les titres s’enchainent à un rythme tellement effréné que l’on a parfois du mal à les distinguer. Pour autant, EST Gee parvient à nous happer dans son univers sombre et crapuleux. La violence verbale qu’il déverse est directement inspirée de son quotidien tumultueux, lui qui a perdu la vue de son œil gauche dans une fusillade en 2019. Malgré une overdose évidente après 55 minutes de trap énervée, on retiendra tout de même une poignée de street bangers bien grassouillets : « Double Back », « Voices In My Head » ou encore « Blood » dévoilent tout le potentiel d’un MC authentique, que le rap aura sauvé d’une vie d’incertitudes. 

Pour autant, le premier album studio d'EST Gee donne le sentiment d’arriver après la bataille, presque une décennie trop tard. En effet, au début des années 2010, un rappeur hyperactif et talentueux comme lui aurait  pu finir sur la couverture de XXL Magazine ou Complex. Le bougre aurait clairement l’aura, la voix et le look pour y parvenir. Malheureusement, des albums 100% trap de plus de 20 titres, il y en a eu des centaines ces dernières années, et rien sur I Never Felt Nun ne permet à son interprète de réellement se distinguer de la concurrence, et EST Gee semble voué à se noyer dans un marché totalement saturé. Preuve ultime de ce déclin d’intérêt pour la trap : le hip-hop mainstream commence à se chercher d’autres puits d’inspiration avec, en tête, les derniers disques de Drake et Beyoncé très orientés house. Avec I Never Felt Nun, EST Gee écrit les premières lignes de son histoire sur une page que l’industrie musicale semble avoir déjà tournée.