House Music

Bell Orchestre

Erased Tapes – 2021
par Antoine G, le 20 avril 2021
8

Contrairement à ce que pourrait indiquer son nom, Bell Orchestre n’est pas un orchestre de cloches. Ce qui ne l’empêche pas de très bien sonner. En revanche, ses membres ne sont pas du genre pressés : il s’est écoulé 12 ans entre la sortie de leur dernier disque, l’excellent As Seen Through Windows, et ce successeur. Qu’on n’aille pas imaginer que ses 6 membres se sont tourné les pouces en attendant. Parmi eux, on retrouve notamment Sarah Neufeld et Richard Reed Parry, membres d’Arcade Fire, et menant également de très respectables carrières solos. Mais de temps en temps, les voilà qui réactivent ce vieux groupe, formé avant la bande de Win Butler et Régine Chassagne. Une idée qui nous réjouit au plus haut point.

D’autant que le disque ici est bien plus abouti que les précédents. La formule de départ est toujours aussi originale qu’inclassable. Partant d’un instrumentarium classique, à savoir violon, contrebasse, trompette et cor d’harmonie, avec une batterie pour rythmer tout ça, le groupe fait exploser toute barrière stylistique. Musique minimaliste, ambient, jazz, rock, post-rock, tout amoureux de musiques hypnotiques pourra y trouver son bonheur. Le cor, notamment, apporte toute son originalité au son du groupe, avec sa densité harmonique et sa gigantesque palette sonore. C’est bien lui le pivot de la formation depuis ses débuts.

Mais si ce disque semble être l’aboutissement de cette recette, c’est grâce à sa méthode d’enregistrement. Ces 45 minutes de musique instrumentale sont issues d’une seule session d’improvisation d’une heure et demie, enregistrée chez la violoniste du groupe. C’est d’ailleurs de là que vient le nom du disque, bien plus que du genre du même nom. Ensuite, les membres ont recoupé, remonté, et enrichi d’overdubs et d’effets les meilleures parties, affinant la matière brute comme des sculpteurs.

En résulte donc un disque très organique, évoluant naturellement avant de s’éteindre de lui-même. Logique, puisqu’au fond ce n’est qu’un seul long morceau (il n’y a qu’une seule pause dans tout le disque, entre les titres « All The Time » et « Colour Field »). Mais surtout, le groupe y gagne en liberté et en cohésion. Une de leurs principales références est le Bitches Brew de Miles Davis, avec qui House Music partage une profusion sonore assez délirante, ainsi qu’une spontanéité maîtrisée. Les idées fusent, sans jamais rompre ce lien magique entre chaque musicien·ne.

Avec une production lorgnant plus vers l’électronique, Bell Orchestre trouve enfin son équilibre. Leur maîtrise de la saturation, toujours maniée avec goût, atteint ici des sommets, servant de liant sonore tout autant que de propulseur vers la transe. Elle permet ces contrastes très frontaux entre les différentes influences musicales convoquées : Aphex Twin contre Miles Davis, les derniers Talk Talk contreSilver Mount Zion, La Monte Young contre Nils Frahm. Pourtant, le résultat est merveilleusement apaisant, pour peu qu’on se laisse porter.

Bien sûr, on aimerait qu’il y ait un peu plus de mélodies, de ruptures, ou de moments où l’équilibre des instruments se brise et se renouvelle. On reste dans une certaine zone de confort. Mais soyons honnêtes, ce serait vouloir le beurre et l’argent du beurre. Cet album est un flot constant, à accepter tel quel : il faut accueillir chacun de ces sons, et le laisser nous transformer. Nous purifier, quelque part.

Grandiose et intimiste à la fois, Bell Orchestre démultiplie les effets pour au final offrir une méditation zen. C’est une exaltation du quotidien, de la nature où tout est à la fois identique et toujours changeant. La différence entre artificiel et naturel se brise, tout comme celle entre l’individu et le collectif. Le groupe veut tout fusionner. À chacun·ne d’accepter ou non cette invitation, de rejoindre les musicien·ne·s dans cette expérience intense et profondément collective. Au fond, ça vaut bien une heure de yoga.