Homecoming

Beyoncé

Columbia – 2019
par Aurélien, le 23 avril 2019
8

C’est un peu poseur dans l’esprit, mais c’est pourtant une vérité : en une vingtaine d’années existence qui ont vu se succéder tout en haut de l'affiche des rockeurs reformés sans actualité, des pharaons de l’EDM ou quelques newcomers profitant d’une hype exponentielle, il aura fallu attendre Beyoncé pour voir une femme afro-américaine tout en haut de l’affiche de Coachella. Et à bien y regarder, cela coule de source pour celle qui n’a eu de cesse d’exploser des records en proposant des albums complets, optant pour des directions artistiques toujours plus fermes. Une exigence artistique que deux grossesses n’ont pu altérer : en 2019, "Queen Bey"  est plus reine que jamais, tout en formes et en discipline, toujours loin devant la concurrence. C’est en tout cas ce que cherche à démontrer (comme si c’était nécessaire) le docu-concert Homecoming disponible sur Netflix et qui accompagne cet album live du même nom. Un objet qui déploie une puissance de feu inouïe et qu’il va être difficile d’ignorer, qu’on aime ou non la Texane.

Disque servant d'addendum au très bon docu-concert, ce live labyrinthique et pachydermique pourrait donner l’impression de s’éparpiller, et de n’être qu’une vitrine de plus pour l'une des plus grandes stars de l'histoire de la musique. Il n’en sera rien : à l’instar du Alive 2007 des Daft Punk, ce live a vocation à se développer dans un cadre inédit : celui d'un catalogue de titres mis en scène et revisités afin de proposer l’expérience la plus intense possible, quitte à donner à certains morceaux une deuxième vie. Ainsi, "Me, Myself & I" vient s’incruster au beau milieu de "Sorry", et du Soulja Boy ou du J Balvin viennent augmenter le niveau de turn up entre deux hymnes. En d'autres termes, tout est fait pour contenter tout le monde, en ce compris les plus obsédés d'entre nous qui ont droit à quelques plans sur l'arrière-train de la reine et qui suffisent à comprendre pourquoi Jay-Z, à l’aube de la cinquantaine, a préféré devenir homme au foyer plutôt que de continuer à sortir des disques souvent anecdotiques. Nous ne sommes que des hommes après tout.

Mais plus qu’un (excellent) concert de Beyoncé Knowles-Carter, ce live parvient malgré son gigantisme à développer quelque chose de plus intime : vu l'importance du moment et les valeurs défendues par Beyoncé, on ne se surprend pas que ce live soit marqué du sceau de l’identité noire. Mais loin d’intellectualiser inutilement le propos, le spectacle brille par sa précision et la bonne humeur contagieuse qu’il propage, s’emparant notamment d’une fanfare universitaire (composée d'étudiants provenant d'universités traditionnellement noires) pour reprendre les plus grands hymnes de la chanteuse, mais aussi pour retracer une impressionnante timeline du savoir-faire afro-américain, du "Humble" de Kendrick Lamar au "Lilac Wine" de Nina Simone en passant par le "Spottieottiedopalicious" d’Outkast. Et puis, comment faire l’impasse sur cette interprétation de "Flawless" transcendée par son passage en chopped & screwed ? En autant de clins d’œil destinés à dépoussiérer un catalogue de titres ayant parfois plus de vingt ans, Beyoncé parvient à donner à un spectacle tout à la gloire de son ego une vraie direction artistique qui transcende beaucoup de ses singles, et fascine par sa capacité à toujours prendre le spectateur/auditeur à contre-pied.

Concert impeccable conclu par un final digne d’une parade de Disneyland (avec l'inévitable reformation des Destiny’s Child), Homecoming doit être rangé dans la case next level shit tant il pousse la science de l’entertainment dans ses derniers retranchements et affiche un un sens de la mise en scène qui rivalise avec celui de Michael Jackson du temps de son hégémonie. Sidérante dans sa manière de faire les choses pour la culture, cette démonstration de force permet a tout un back catalogue de prendre une dimension herculéenne sur scène, et confirme la supériorité de Beyoncé avec une aisance qui nous glace le sang autant qu’elle nous fascine, faisant d'elle la Cersei Lannister du music biz des années 2010. Bordel, quelle femme.

Le goût des autres :