GROZO Social Club

Gros Mo

Urban – 2022
par Yoofat, le 13 juin 2022
8

Gros Mo a une personnalité instinctive. Lorsqu'il était encore un rookie qui n'en avait rien à foutre, il a choisi de nommer son tout premier projet, une patate aux influences Dirty South, Fils de Pute. Juste comme ça, sans doute parce que ça le faisait marrer. Après une rupture qui l'a inspiré pour le meilleur alors qu'il s'adonnait au pire sur Les # de Gros Mo, l'ancien backeur de Nemir est devenu un vrai crooner. Juste comme ça, sans doute parce que c'est ce qu'il avait envie de le devenir. Certes un peu "salie" par le seum du bitume, et l'herbe grasse qu'il roule compulsivement, la musique de Gros Mo est devenue solaire, légère et pleine d'émotion. L'année 2017 a été décisive pour lui : quelques douceurs inoubliables sur le projets des copains ("Faut pas t'en faire" avec Deen Burbigo, "Ego" avec Chilla, "Elle m'a eu" avec Nemir), quelques grosses frappes pour rappeler que ça vient d'en bas ("Kway" sur le projet d'Almeria) pour un constat plutôt simple : Gros Mo sera l'un des artistes les plus excitants à suivre dans les années à venir. 

À l'instar d'un Doc Gyneco, le Perpignanais est un rappeur limité techniquement, mais au groove très largement au-dessus de la moyenne. Son premier album sorti en 2018, Les Étoiles, était un merveilleux objet où histoires de rue, infidélités, peines amoureuses et dépressions épousaient des rythmes enivrants sans que cela ne ressemble jamais aux habituelles zumbas à la française. Il était évident à ce moment-là que le producteur En'zoo et Gros Mo venaient de découvrir une formule séduisante en plus d'être audacieuse et que celle-ci se devait d'être reconduite. 

Moins conceptuel que Les Etoiles, GROZO Social club est le deuxième gros album de ce mois de mai à être divisé en deux parties. Un poil moins deep que Mr. Morale & The Big Steppers de Kendrick Lamar, la première partie, "Extractions", se veut un peu plus proche du béton quand la deuxième, "Fleurs", sera plus douce et aérienne. Un découpage stylistique qui suppose une partie rap et une partie chant, vu et revu dans l'histoire du rap français, de La Fouine à Maître Gims, mais qui est ici plus complexe. Avec sa voix grave et sa diction lente, Gros Mo raconte avec simplicité la vie de quartier ("C4" ou "La cité" avec Ratu$) autant que les déceptions amoureuses ("Les Yeux dans les Yeux" avec Chilla ou "Biatch" avec Youssoupha). Sa musique, ni inoffensive, ni offensante, est celle d'un père et d'un fils. Sa musique n'est pas que le reflet d'un homme en complète harmonie avec lui-même, elle est aussi celle d'une personne honnête et intègre, préférant aplanir son son et le rendre intelligible autant à sa fille qu'à sa mère. Sans jamais perdre de vue le fait que ça vient d'en bas.

GROZO Social Club fascine par le charisme de son auteur, par l'aisance que celui-ci a à trouver les bons mots, les bonnes mélodies. Rappeur préféré des rappeurs techniques pour sa facilité à se défaire des schémas de rimes classiques tout en gardant le groove, Gros Mo est assurément l'un des plus grands unsung heroes de sa génération. À l'instar des rappeurs "stoners" à la Curren$y ou à la Smoke DZA, on peut supputer que le côté laid-back instaure peut-être une sorte de je-m'en-foutisme qui ne nous permet pas de les prendre totalement au sérieux, et donc de les snober quand vient le temps des tops de fin d'année. La musique de Gros Mo est néanmoins loin d'être aussi ésotérique que celle des cainris précités, et embrasse même une dimension "populaire", accessible à toutes et tous. Dans Euphoria, Gros Mo serait clairement Fez ; le mec le plus cool, le stoner éloquent, sensible, capable de coups de sang, certes, mais beaucoup trop cool pour qu'on lui en tienne rigueur. Il ne reste plus qu'au public français de faire son travail et de porter Gros Mo là où il doit être.