Fragments

Bonobo

Ninja Tune – 2022
par Adrien , le 20 janvier 2022
8

Quelques secondes : c’est le temps qu’il faut aux harmonies de « Polyghost », le morceau d’ouverture de Fragments, pour nous replonger dans l’univers élégant de Simon Green. Quasi cinq ans jour pour jour après Migration et toujours sur le label Ninja Tune, Bonobo nous reprend exactement là où il nous avait laissés : emportés par un courant down tempo, immergés dans la chaleur d’une eau où trip-hop, electronica et deep house se lient et se délient dans des tourbillons oniriques.

Si le précédent album avait pu surprendre par la direction EDM prise sur une partie de ses morceaux (mouvement déjà entamé sur North Borders par le producteur qui n’a jamais renié ses influences puisant dans le UK garage), sur Fragments cette composante dance music semble toujours avoir fait partie de la proposition du Britannique tant elle s’y inscrit de manière cohérente et se fond dans l’ambient organique qui constitue toujours le corps de sa musique. Et dans le contexte plombé que l’on connait, se retrouver porté par des sonorités figurant tantôt la nature et ses grands espaces, tantôt l’extase d’une soirée en club tient moins de la bouffée d’oxygène que du véritable effet cathartique.

Coincé à Los Angeles au début de la pandémie, aux premières loges pour assister impuissant aux incendies qui ravagèrent la Californie en 2020, Green, qui composait habituellement sur la route de ses tournées, semble ainsi vouloir évoquer/invoquer ce qui nous a toutes et tous manqué durant cette période : la liberté. De voyager, de danser, de rêver, de panser le présent et penser les futurs.

Même isolé, le bonobo demeure un animal social, comme en témoignent les nombreuses collaborations sur Fragments. Avec Jamila Woods tout d’abord, chanteuse et poétesse engagée de Chicago qui pose un flow apaisé et apaisant sur « 'Tides », pierre angulaire de l’album. Le titre souligne également le travail du producteur et multi-instrumentiste de renom Miguel Atwood-Ferguson (Flying Lotus, Mary J. Blige, Dr. Dre) qui mena à l’enregistrement de musicien·ne·s d’orchestres en studio pour enrichir le son du disque et y renforcer la dualité entre musique électronique et performance harmonique. Sont également du voyage les voix de Jordan Rakei (« Shadows »), Joji (le track R&B « From You ») et Kadhja Bonet (« Day By Day », dont le final au saxophone clôt l’album avec grâce). Sans oublier la harpe de Lara Somogyi, disséminée tout au long de ces 12 fragments, la TR-808 d’O’Flynn sur la section rythmique de l’envoutant « Otomo »... et les synthés modulaires, que Green utilise pour la première fois sur ses textures.

Avec ce disque, Bonobo démontre qu'il n'a pas besoin de réinventer sa musique pour continuer à nous emporter. En l'inscrivant dans son époque, il renforce son identité pour proposer une synthèse sublimée de tout ce qu’il a pu produire jusqu’ici, faisant de Fragments son album le plus abouti et lumineux depuis Black Sands. L’avenir n’est pas si sombre, quand on y pense.

Le goût des autres :