Emotional Mugger

Ty Segall

Drag City  – 2016
par Pierre, le 18 février 2016
8

Plus vite qu'on le croit, on sera devenus des vieux cons fusionnant avec leur fauteuil devant le Tour de France. Mais du haut de notre sénilité, il nous restera au moins le plaisir de lancer n’importe quel album de Ty Segall sur notre bonne vieille platine en grommelant d’un air supérieur que « ça, gamin, c’était de la musique. »

Oui, Ty Segall est bel et bien l’un des artistes de la décennie. Mais pour le coup, écrire un papier à son sujet relève presque du calvaire. Premièrement, tout a déjà été dit, toutes les comparaisons ont déjà été faites et chaque adjectif plus ou moins farfelu lui a été associé. Et puis malgré son effarante capacité à mixer les tons et les couleurs dans ses différents projets, le prodigieux touche-à-tout injecte partout sa science toute subjective du riff éventreur et de la mélodie survoltée. Ainsi Ty Segall rajoute sans cesse son fameux ingrédient secret dans chacune de ses compositions et tel Tistou et ses célèbres pouces verts, transforme tout ce qu’il effleure en brasier infernal sans oublier bien sûr de signer en bas à droite. 

Alors en fin de compte, à quoi bon s’acharner à parler de ses disques maintenant que sa réputation le précède et que notre avis l’indiffère pas mal ? Et bien parce qu’à travers les pores de tous ses albums transpire la même constante : la qualité. Ce sens inéluctable du refrain qui fait mouche, de la saturation qui te choppe par les couilles pour en extraire le plus divin nectar.

Cependant, Emotional Mugger n’en est pas moins déroutant et ne se savoure totalement qu’après plusieurs écoutes : moins immédiats, les onze titres qui le composent sont pourtant loin d’être décevants. Mais si cet album est relativement difficile d’accès, il concentre et résume joliment l’art du Californien qui, une fois encore, voyage en terres inconnues. Ty Segall s’essaie cette fois à la musique expérimentale, et en tire une sorte de rage analogique où les machines rouillées hurlent face aux coups de médiator assassins et au despotisme de leur agresseur. De ce conflit permanent nait finalement une complicité, qui donne un album à l’image de sa pochette : inquiétant et hypnotisant. En quelques mots, Emotional Mugger surgit comme une version cradingue et électrifiée du Cold Hot Plumbs de son acolyte John Dwyer sous le nom de Damaged Bug

En toute honnêteté, on ne sait plus trop quoi vous dire, et vous vous foutez sans doute royalement de notre avis. Ty Segall ne s’explique pas, en tout cas pas de cette manière. Sans surprise aucune donc, Emotional Mugger est malgré ses airs hautains et inaccessibles de la même trempe que toute la discographie du géant à la gueule d’ange. Et d’avance à tous les soi-disant « puristes » qui s’opposeront à ce constat, allez bien vous faire voir.