Can You Hear The Street Lights Glow
Ian Wellman

Je serais prêt à parler de toutes les musiques, je ne veux rien laisser de côté. Pour ainsi dire, avec le recul, ma post-adolescence m’a donné la chance de m’ouvrir au tout-musical. En découvrant assez jeune la musique concrète, l’acousmatique, le sound design et la musique pour bandes, j’ai compris que tout était musique. Qu’il n’y a pas d’absence de musique. Donnez-moi des sons de portes qui claquent et je vous trouverai immédiatement une ouverture pour en parler musicalement. A intervalles réguliers j’aime donc me plonger dans des œuvres comme celles de Ian Wellman. Can You Hear The Street Lights Glow est clairement de la trempe de ces disques étranges, fruit d’un héritage du field recording dans ce qu’il a de plus rigoureux. Récemment déménagé à Pasadena, Wellman a eu la bonne idée d’entamer son acclimatation avec son nouveau chez-soi en cartographiant son environnement de manière sonore. Armé de géophones et des micros-contacts posés sur toutes les surfaces métalliques disponibles ainsi que ses capteurs électro-magnétiques sur tous les appareils électroniques de la ville, Ian Wellman interrogera sa nouvelle terre d’accueil au travers d’un rodéo urbain nocturne en apparence austère.
Situé entre le reportage sonore en solitaire et la poésie d’une banque musicale en évolution, Can You Hear The Street Lights Glow attire l’oreille sur ce qu’on refuse à tout prix d’entendre. Dans un monde absolument mécanisé, Ian Goodman profite des nuits américaines pour jouer les archéologues et déterrer la mélodie des choses qui ne bougent pas. Les devantures de LED, les tuyaux de gaz, les parkings, les antennes 5G deviennent malgré eux les musiciens d’un album aux accents forcément ambient-noise, bien dans une radicalité qui n’est que le miroir d’une vie menée parfois (souvent) avec aveuglement. Ce qui apparait comme absent et statique se révèle en réalité comme bourdonnant de vie – qui aurait cru le contraire ? – de lumière et de son. Quand la vie courante est au plus bas, qu’est-ce que notre environnement direct a à nous raconter ?
Can You Hear The Street Lights Glow ravira les amateurs de Chris Watson, Jana Winderen ou Francesco Lopez pour sa capacité à rendre compte d’une réalité matérielle complexe la plus fidèlement possible – hébergé sur Room40 avec le patron Lawrence English au mix/mastering, inutile de dire qu’on est ici sur quelque chose de sérieux. Que les autres ne se découragent pas pour autant : à condition de jouer le jeu et d’aller véritablement chercher la beauté là où on ne la présumerait pas nécessairement, cet album vous offrira un paquet de textures à l’électricité délicieuse, sans compter sa capacité à révéler le « non-musical » au rang d’art total. Un disque précis et aventureux, qui interroge à bien des niveaux notre rapport au monde. Bien joué.