Blight Privilege

Nachtmystium

Prophecy Records/Lupus Lounge – 2025
par Simon, le 2 février 2025
8

L’histoire de Nachtmystium dit tellement de choses sur la communauté metal qu’on pourrait passer une soirée à vous la raconter en longueur. Le magazine Metal Sucks, en bonne pute à clique qu’il est, s’est chargé pour nous de retracer toutes les étapes qui ont jalonné le parcours du groupe de black metal le plus détesté des Etats-Unis d’Amérique. Enfin, si on veut être tout à fait correct, Nachtmystium n’a jamais vraiment posé problème. Le problème c’était Blake Judd. Un homme dont le destin a été ruiné par son addiction à l’héroïne, au crack et à la méthamphétamine.

Un homme qui a volé à de nombreuses reprises ; ses fans en n’envoyant pas mal de merch qui avait été pourtant payé, ses anciens membres de groupe et des promoteurs de concert. Une personne certes bien sombre mais dont le principal grief aura finalement été de presser des bootlegs d’un album culte de Judas Iscariot et de les vendre comme des originaux via sa structure de l’époque – Ascension Monuments Media – pour s’acheter de la dope avec sa femme. Entre temps le groupe disparaît, se reforme comme il peut, disparait à nouveau et vivote en fonction des états d’humeurs de son omnipotent frontman, qui lutte comme il peut pour se sortir d’une des pires addictions qu’on puisse connaître.

Entre-temps, lâché par toutes les structures musicales autour de lui, Blake Judd se voit littéralement lynché depuis dix ans sur le net (Facebook et Reddit principalement). Donc si on essentialise, on est face à une scène où les nazis bénéficient de passe-droits – il est marrant d’ailleurs de voir que le boss de Nuclear War ! Now ! s’est fait de Judd un ennemi héréditaire, là où son label continue de distiller les groupes aux idéologies les plus crasseuses de la scène - , où les détenteurs d’images pédopornographiques continuent de tourner pépère (Inquisition a beau sortir les meilleurs riffs du monde, on est quand même sur un passé bien sale), mais le grand méchant loup reste le leader de Nachtmystium qui entourloupe son monde pour une histoire de bootlegs.

La vraie question à notre niveau c’est surtout de savoir qui peut s’assoir à la table de Blake Judd et lui donner des leçons sur le black metal américain ? Qui aura l’audace de diminuer Nachtmystium au moment de causer de cette troisième vague du genre au-delà d’une histoire de fraude au vinyl ? Les amateurs de Xasthur, Wolves In The Throne Room ou Leviathan le savent : le groupe et son leader sont l’une des phalanges les plus sacrées de l’USBM.

Aujourd’hui sobre depuis quelques temps, apparemment, Blake Judd s’en bat la race et signe son neuvième album en forme de grand retour du mouton noir. Avec un line-up recomposé d’on-ne-sait-trop-où – le batteur est un Italien apparemment fan hardcore du groupe – Nachtmystium effectue son comeback par la grande porte. Parce qu’il faut bien le dire : Blight Privilege est un gros banger qui ne souffre d’aucune faute de goût. Gavé de références à cette décennie qui l’a vu chuter de son statut de légende vivante à celle de sombre merde honnie par ses plus proches, ce nouvel album se permet tout.

D’abord et avant tout du gros black metal épique, bien droit en bouche, exécuté avec une maîtrise si impeccable. Mais aussi de la ligne de basse bien prog rock, des inflexions quasiment surf music (sur le délicieux « A Slow Decay »), du riffing « tremollodique », des batteries folles et un spectre général étendu avec talent. Blake Judd au chant est, comment dire, vivant comme jamais. Incroyablement en place, sa performance est une grande lettre d’espoir pour tous ceux qui tentent de sortir du trou. Il y a dans sa voix tellement de désir de revanche, de course en avant. Impossible de dire combien de temps cette rémission va durer, mais bon dieu qu’il est bon de le retrouver à ce niveau sur des grands hymnes comme peuvent l’être « Survivor’s Remorse », « Predator Phoenix », « Blind Spot » - bordel ces guitares - ou « Conquistador ». Quarante-cinq minutes magnifiquement calées à tous les étages qui sonnent comme un univers à part entière, où Judd raconte une vie de misère avec une présence et une lucidité incroyables.

On pourrait gloser des heures sur la question de l’opportunité de donner une vingt-troisième chance à ceux qui nous ont déçus ou de savoir si on doit séparer l’homme de l’artiste au moment d’apprécier sa musique. Dans notre humble position de chroniqueurs, on constate juste que Nachtmystium avait une possibilité unique de plier la concurrence comme si ce black metal jeu lui avait toujours appartenu. Mission accomplie : Blight Privilege est le retour en grâce qu’on n’attendait plus vraiment, une leçon à bien des niveaux. J’espère juste qu’après l’avoir acheté en édition deluxe, ce connard va effectivement me l’envoyer.

Le goût des autres :