An Odd Entrances

Thee Oh Sees

Castle Face Records – 2016
par Pierre, le 2 décembre 2016
7

Indépendamment de la qualité intrinsèque de l’histoire qu’ils racontent, les écrivains sont très généralement classés en deux catégories diamétralement opposées. On distingue ainsi les auteurs privilégiant le style des partisans du mot simpl(ist)e dont la seule évocation du patronyme est capable de foutre la nausée à n’importe quel lecteur doté d’un minimum de jugeote et capable de démasquer la supercherie - on t’a vu Marc Lévy. Et si vous nous connaissez un peu, vous savez à qui va notre admiration. Car il est parfois préférable de n’avoir que peu de choses à raconter, mais de le faire à la manière d’un Céline, plutôt que d’exposer au monde la Théorie des Cordes avec l’éloquence du clodo perfusé à la 8.6 qui squatte en bas de chez toi.

Alors à ce stade, vous vous demandez très justement pour quelle raison l’auteur de ces quelques lignes vous casse-t-il gentiment les gonades avec son point de vue de vieux réac', digne d’un Zemmour période ONPC. Déjà parce que ces épanchements littéraires nous donnent un petit côté intello qu’on ne saurait refuser et puis surtout parce que le présent album de Thee Oh Sees reflète tout à fait cette vision séculaire. Car clairement, la tribu menée par le grand sorcier de Frisco John Dwyer n’avait aucune nécessité de pondre un nouvel album seulement trois mois après la parution remarquée de l’excellent A Weird Exits. Et cela se ressent à l’écoute de ce An Odd Entrances, qui s’avère encore plus court que ta séance de sport hebdomadaire.

Tutoyant la demi-heure donc, cette énième livraison du groupe révèle pourtant un point-clé, si ce n’est la quintessence même de ce qui fait la qualité inhérente à sa discographie riche en albums tout bonnement indispensables : le son. Et notamment sa singularité, faisant des Thee Oh Sees un groupe immédiatement identifiable et de ce fait le bonheur de tout bon gazier amateur du traditionnel blind test du vendredi soir. En effet, An Odd Entrances est littéralement une démonstration de style, un véritable aperçu de la spécificité du groupe et c’est donc très justement cette parure propre à tous les albums de Thee Oh Sees qui le sauve de la déception et en fait même un album qu’on n’oserait dénigrer. 

Car les compositions présentes sur ce long-format n’entreront certainement pas au panthéon des meilleurs titres du groupe. On y retrouve pourtant quelques aspects très plaisants comme l’ouverture du disque, "You Will Find It Here", sorte de mille-feuille psychédélique au sein duquel l’empilement des couches aboutit à un vacarme sonore digne de The Brian Jonestown Massacre, ou encore les bandantes fulgurances de "Nervous Tech (Nah John)" qui n’empêchent cependant pas les titres instrumentaux de révéler une inspiration relativement limitée.

Malgré tout donc, c’est bel et bien la patte du groupe suintant de chaque composition qui permet à un An Odd Entrances somme toute assez contemplatif de nous faire davantage prendre conscience de toute sa force : foutez chaque partition entre les mains du premier guignol venu et c’est l’échec assuré. Mais c’est mal connaître les types dont on parle ici. Car c’est finalement toute la force de Thee Oh Sees traduite ici, groupe qui, à la manière d’un Cyril Lignac de l'underground, est capable de sublimer quelques ingrédients pourtant pas forcément fameux en quelque chose de tout à fait comestible.

À dire vrai, le véritable statement de ce disque n’est autre que celui-ci : il est encore possible de charpenter un album qualitatif sans réelle effusion créatrice. Alors certes, la réputation du groupe le précède et chacune de ses parutions est de fait posée sur la platine avec un a priori positif étant donné le constant génie auquel nous ont habitués les Thee Oh Sees. Mais une fois de plus, cette anticipation à double tranchant se révèle fondée et ce An Odd Entrances en est peut-être l’une des meilleurs argumentations.