Airborne Lard / Poom Gems / B.B.H.E.

Hudson Mohawke

Warp – 2020
par Aurélien, le 10 novembre 2020
7

"Bordel quelle époque".

C’est souvent en ces termes qu’on se rappelle de la scène beat du début des années 2010, quand la comète Flying Lotus remettait au goût du jour un certain sens de l’expérimentation dans la production, drainant dans son sillage une foule de beatmakers signés sur Warp ou sur son propre label Brainfeeder. Cet appétit du beat parfait lui a permis de se constituer un cercle restreint de producteurs talentueux, avec qui il partageait une connaissance encyclopédique de la musique, et un savoir-faire qui a flatté les esgourdes de nombreux musiciens soucieux de soigner leur capital hype.

Aujourd'hui, si FlyLo s'adresse toujours d’un auditoire inversement proportionnel à la qualité de ses disques, on ne peut pas en dire autant de tous ces gens qui faisaient la file derrière lui. On pense notamment à un Hudson Mohawke qui, après quelques disques très corrects et quelques coups d’éclat pour G.O.O.D Music, est tombé dans un oubli relatif après plusieurs années à développer sa science du beat et des synthés maximalistes. Les temps ont bien changé, et l’époque où ses tics de productions étaient vus comme un gage de qualité est bel et bien révolue. Pire : ces mêmes tics ont été récupérés par les grosses machines EDM soucieuses d’apporter une couleur plus rap à leurs bangers bas du front. Il n’y a guère que Bauuer qui soit parvenu à rebondir après le buzz "Harlem Shake" et à s’offrir une actualité, là où tous les Rustie du monde peinent à se refaire une santé  jusqu’à disparaître purement et simplement des line up des clubs et des festivals. Quant à HudMo, après un Lantern qui a confirmé des ambitions plus pop, il a choisi de faire un pas de côté qui l'a complètement sorti des radars depuis lors.

Conscient qu’il est aujourd'hui passé de mode et qu’il vaut parfois mieux se taire plutôt que de ne rien dire d’intéressant, Ross Birchard a choisi de sortir pas moins de trois disques entre le mois d’août et la fin du mois de septembre, histoire d’alléger son disque dur de titres qui n’avaient jamais eu droit à une sortie en bonne et due forme. Un coup d’œil dans le rétro qui a été accueilli avec une indifférence crasse au regard de l’émoi suscité à l’époque par chaque sortie de l’Écossais. Qu’à cela ne tienne : par ici, on a encore beaucoup d’admiration pour le parcours du bonhomme, et on ne se sentait pas le cœur de laisser passer ça sans au moins lui offrir un peu d’amour le temps d’un papier en forme de madeleine de Proust.

Car s’il s’agit ici d'un chant du cygne, reconnaissons que ce chant a quand même une sacré gueule. Pourtant, rien de bien neuf sous le soleil : outre le fait que certaines choses ressemblent à s’y méprendre à d’autres classiques du répertoire d’HudMo, la plupart des titres alignés ici ne sont pas inconnus au bataillon. C’est une production qui s’épanouissait déjà dans son statut d’unreleased au détour d'apparitions en radio, de mixes des copains de LuckyMe, ou de concerts de TNGHT où ça envoyait du banger avec une rare violence. C’est notamment vrai sur des titres comme "100HM" ou "Furnace Loop", qui a longtemps ouvert les sets de FlyLo : HudMo a tellement cristallisé l’efficacité d’un bon banger trap, avec sa section rythmique qui claque comme un serpent à sonnette et se greffe sur des harmonies concassées, qu’on a l’impression qu’il a fait cent fois le tour du sujet, sans toujours parvenir à se transcender.

Mais s’il est tentant de ne parler de lui qu'à travers le golem trap qu’il a enfanté, notamment grâce au succès de TNGHT, il y a aussi dans ces trois disques la preuve irréfutable de la large palette de genres que l’Écossais a su maîtriser : entre deux bangers, il se mue en apôtre du funk stéroïdé ("Solesaft") ou balance des pépites qui sonnent comme des productions de Kanye West malmenées par une boîte à rythme devenu folle ("All I Need").

Il y a de fortes chances que tout le monde ne trouve pas son bonheur sur ces trois disques, ceux-ci s’adressant surtout aux plus fans du bonhomme. Par ailleurs, on admettra sans difficulté que tout est loin d’être indispensable dans ce joyeux bordel, et que la raison d’être de pareils disques est clairement de laisser l’auditeur faire son petit marché selon la période qu’il affectionne le plus. Néanmoins, il y a plus de qualité ici que ce que ces trois pochettes vomitives semblent annoncer, et c’est un réel bonheur de renouer avec cette époque où tout le monde n’avait que la trap et le wonky à la bouche, persuadés que c’était la musique du futur. Il faut reconnaître qu’on s’est un peu trompés, même si on espère, dans un coin de notre tête, que HudMo saura un jour refaire surface avec cette même fraicheur qui le rendait si sympathique et indispensable pendant ces fastes années.