Abattoir Blues / The Lyre Of Orpheus

Nick Cave & The Bad Seeds

Labels – 2004
par Popop, le 21 février 2004
8

Au bout de vingt ans de carrière, il n’est pas rare de passer du statut d’artiste culte à celui de mythe en état de dégradation avancée. En tout cas, c’est un peu l’impression que donne Nick Cave si l’on se contente de lire ce que peuvent écrire certains journalistes spécialisés et fans de la première heure désabusés. Il faut dire que depuis le virage crooné de The Boatman's Call et sa prolongation torturée de No More Shall We Part, on ne sait plus trop où en est l’Australien. Ce n’est d’ailleurs pas l’inégal Nocturama paru l’an dernier, sorte de résumé maladroit mais occasionnellement brillant des différentes périodes de sa carrière, qui a permis de clarifier la situation. D’où la méfiance quasi-réflexe ressentie à l’annonce d’un imminent double album, le premier depuis ses débuts.

Eh bien la surprise est là : non seulement le ténébreux chanteur a encore des choses à dire, mais en plus il assume enfin le grand écart de ses aspirations, avec un premier disque Abattoir Blues rock et gospel, et un second The Lyre Of Orpheus plus retenu et lyrique. Pour être tout à fait honnête, ces deux entités distinctes ne parviennent pas à éradiquer le mauvais réflexe habituel qui consiste à comparer chaque morceau avec le passé si envoûtant du leader des Bad Seeds. De fait, en fouillant un peu, les références fusent : la collaboration avec la London Gospel Community rappelle tantôt The Good Son ("O Children"), tantôt Tender Prey ("Abattoir Blues"), le rock hurlant de "Get Ready For Love" ne dépareillerait pas sur Let Love In, le premier single "Nature Boy" ressemble à s’y méprendre à une seconde mouture enfin réussie du "Bring It On" de Nocturama et l’ambiance de "The Lyre Of Orpheus" lorgne assez souvent du côté de celle de The Boatman's Call.

Et malgré tout, malgré ce côté familier, ce double album est aisément à classer parmi les plus belles réussites de Nick Cave. Peu ou pas de faiblesses à relever alors que les sommets se bousculent, de "There She Goes My Beautiful World" à "Let The Bells Ring", en passant par le troublant "Easy Money". Une belle démonstration à mettre de toute urgence dans les oreilles de ses détracteurs…