Concert

Brett Anderson

Paris, La Maroquinerie, le 25 octobre 2008
par Splinter, le 27 octobre 2008

On le sait, "suede" en anglais ne désigne pas le pays (appelé outre-Manche "Sweden") mais le daim, cette matière qui compose notamment les fameuses Clarks chères à la britpop des années 1990, période bénie des fans d'Oasis, Blur, Pulp, Mansun et… Suede. Pourtant, quand débarque Brett Anderson sur la scène de la Maroquinerie, ce samedi 25 octobre 2008, on a bien la sensation d'assister à un show à l'ambiance plutôt… nordique, c'est-à-dire froide, voire glaciale.

L'homme, très mince, le visage émacié, ne porte pas un regard vers son public, venu en nombre dans cette petite salle. Particulièrement appliqué sur son piano, assisté d'un seul violoncelle, il enchaîne "A Different Place" puis quatre autres titres tirés de son dernier album, l'excellent Wilderness, sans même prendre la peine de s'arrêter pour laisser à l'audience le temps d'applaudir entre deux morceaux. Brett Anderson a l'air d'être sans son monde, totalement habité par les paroles de ses chansons. Imperturbable. Et frustrant pour le fan de base, qui voudrait pouvoir dire à son idole à quel point il apprécie cette reconversion, cette mutation du dandy le plus élégant et classieux du rock britannique, bien que cette élégance et cette classe soient manifestement restées au placard ce soir. Anderson, dans sa tenue de syndicaliste français, veste sans forme, chemisette froissée et mocassins Geox, peut cependant encore compter sur son allure féline, son regard d'acier et sa voix, exceptionnelle, pour renverser les cœurs des demoiselles.

Heureusement, après cette entrée en matière plutôt réfrigérante, l'homme se lève pour aller prendre sa guitare sèche et se placer face au public. Là, enfin, il demande si "ça va" et un sourire se dessine sur ses lèvres. Malgré ce professionnalisme, qui place une distance déraisonnable avec les spectateurs, Brett Anderson a l'air heureux d'être sur scène. Le passage au micro d'Emmanuelle Seigner, pour le fameux duo de "Back to You", réchauffera encore un peu plus l'ambiance, pour cette première partie du set, consacré exclusivement aux deux albums solo de la star, à savoir Wilderness et Brett Anderson (sans, malheureusement, la sublime "Colour of the Night").

Après une pause relativement longue, le temps de se repoudrer le nez, Anderson revient et entame la seconde partie du set, composée exclusivement d'anciens titres de Suede. Les fans sont aux anges. On les voit, les quadra, qui connaissent les chansons par cœur et réagissent aux premières notes de guitare. Pourtant, les morceaux, des plus ("So Young", "Trash", "Saturday Night") aux moins ("2 of Us", "He's Gone", "The Living Dead") connus sont ici transfigurés : l'interprétation qu'en fait Brett Anderson en 2008 se situe incontestablement à des années-lumière des versions originales. Il suffit de comparer "Saturday Night" telle qu'elle figure sur Coming Up (1996) avec celle qui figure sur le Live at Union Chapel, sorti l'an dernier, pour se rendre compte que la mutation d'Anderson a rejailli sur ses chansons : épurées, quasi nues, elles sont comme le papillon sorti de sa chrysalide.

Et l'on ne peut alors que se prosterner devant les évidentes et constantes qualités d'écriture de l'ancien chanteur de Suede, lui qui a dû subir pendant de trop nombreuses années railleries et moqueries, faute de parvenir, alors, à se réinventer musicalement. Il importe, à cet égard, de souligner la beauté infinie de la version andersonienne de "The Asphalt World", l'un des meilleurs titres de Dog Man Star, sorti en 1994, avec les épiques "Heroine" et "We are the Pigs". Le genre de morceau tendu, toujours au bord de la rupture, à vous hypnotiser et vous donner la chair de poule. En live, un vrai régal. Clairement l'un des sommets de la soirée.

D'une durée de deux heures ou presque, ce show, dans les conditions impeccables de la Maroquinerie (salle à taille humaine, visibilité excellente, à quelques mètres seulement de la scène, son irréprochable), le dernier de la tournée européenne de Brett Anderson, alias la fontaine buccale (premier rang arrosé de postillons et autres crachats), constitue clairement un retour au sommet pour l'ancienne star déchue de la pop. Dans ses nouveaux habits de chanteur ascète et romantique, l'inventeur de la brettpop est parvenu à convaincre même les plus sceptiques de la qualité de son répertoire et de celui de Suede. On en redemande.