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Brett Anderson

V2 – 2007
par Splinter, le 13 avril 2007
8

Brett Anderson est grand, beau et sexy. Du moins, il l'était. Il n'y a pas si longtemps, une dizaine d'années tout au plus, les adolescentes se seraient damnées pour l'embrasser, voire simplement le toucher. En 1997, alors leader de feu Suede, groupe glam rock flamboyant, et en pleine folie "Brett pop", Anderson le vénéneux androgyne énervait nombre de petits amis qui ne pouvaient rivaliser ni avec sa mèche romantique ni avec ses poses lascives et son déhanché sulfureux. Il y a dix ans, Anderson, non content d'avoir sauvé le rock en 1993 grâce à ses "Metal Mickey" et autres "Animal Nitrate", était une icône sexy à côté de laquelle Matthew Bellamy ou Brian Molko, surtout, qui s'en est beaucoup inspiré il y a quelques années, font aujourd'hui pâle figure.

Après le sabordage de Suede, groupe au moins aussi important que Blur et auteur de cinq albums de fort bonne tenue, dont l'excellent A New Morning en 2002, après l'expérience The Tears en 2005, qui marquait ses retrouvailles éphémères avec son ancien amant Bernard Butler, guitariste historique de Suede, Brett Anderson se risque aujourd'hui à sortir un premier album solo, évolution somme toute logique d'une carrière déjà bien entamée à laquelle on a pu reprocher de tourner en rond. Il faut dire que l'homme aime, dans ses chansons, à ressasser les mêmes thèmes sexy et urbains, parfois usés jusqu'à la corde, mais toujours avec une indéniable maestria.

La photographie sur la pochette donne le ton d'un disque surprenant : les yeux cernés, dans le vague, quelques traces d'acné post-juvénile, les cheveux courts, l'oreille gauche percée mais vierge de sa boucle légendaire, habillé d'un vieux t-shirt informe dont un fil dépasse de la manche droite, Anderson ne semble plus que l'ombre de lui-même. Fantôme du passé, un poster de Head Music, sorti en 1999, orne le mur devant lequel Anderson a été pris en photo, visiblement chez lui, sur son canapé blanc, un chat noir comme seule présence vivante. Intimiste, cet album composé sans Butler, sans Suede, écrit et produit quasi intégralement par Anderson seul, se veut le reflet sans fard d'une ancienne rock star adulée, aujourd'hui has been.

Le résultat est tout simplement désarmant : laideur, monstruosité, douleur, maladie, Anderson oublie toute notion de pudeur et ne s'épargne rien. Abandonné de tous ("intelligent friends don't care in the end, believe me" sur "Love is Dead"), superficiel ("no one really cares if no one ever shares my bed", ibid.), largué ("if you leave I'll take this blade and carve your name into my ugliness", sur "To the Winter"), incompris ("nobody saw any beauty in me" - "Song for my Father"), désormais orphelin (ibid.), Brett Anderson se livre sur cet album à une véritable autopsychanalyse grâce à des chansons dont la construction est certes typique du personnage et dont le champ lexical urbain est encore bien présent (dress, hairstyle, sex, mobile phone…) mais qui n'ont jamais été aussi ouvertement autobiographiques.

L'impression de redite est donc loin, si tant est qu'elle ait pu réellement gêner les fans de Suede et de The Tears par le passé. Les mêmes thèmes qu'auparavant sont brassés, certes, mais l'épaisse couche de noirceur qui les habille aujourd'hui les transforme totalement. "The More We Possess…", par exemple, pourrait être le pendant dépressif et cruel de "She's in Fashion", sur Head Music : car il ne s'agit pas ici de simplement décrire et s'amuser de la superficialité, mais bien de la dénoncer et d'en pointer l'absurdité.

Mélodiquement et vocalement au meilleur de sa forme (mention spéciale à "To the Winter" et "Colour of the Night"), Brett Anderson surprend donc aujourd'hui par sa maturité et sa volonté de gagner en crédibilité. A bientôt 40 ans, l'ex-icône glam remise donc les artifices au placard et tente de s'acheter une nouvelle conduite grâce à une collection de ballades romantico-dépressives réussies, sans les arrangements pompeux d'autrefois mais sans toujours réussir à éviter l'écueil de la gnangnanterie ("The Infinite Kiss") ou de la gentille kitscherie (clavier eighties de "Scorpio Rising"). On lui pardonne, car cet album démontre que l'homme autrefois arrogant derrière Suede a, en plus de la manière, désormais des choses à dire, de façon extrêmement touchante.

Le goût des autres :
7 Popop