Éditions des Flammes Noires
Au détour de pérégrinations sur la toile durant la pandémie dont on ne citera plus le nom, nous avons découvert qu’une nouvelle maison d’édition française spécialisée dans le métal extrême venait de voir le jour. Doté au départ d’un catalogue modeste, Les Éditions des Flammes Noires semblait néanmoins faire montre d’une passion presque palpable à l’écran. Et de la passion, il en faut une sacrée dose pour se lancer (seul), par les temps qui courent, dans l’aventure de l’édition papier traitant d’une musique de niche. Après une rencontre et une discussion pour le moins riche avec le boss Émilien lors d’un précédent Hellfest, on s’est dit que la maison méritait bien un petit focus. Une idée qui a été largement confirmée après la lecture de deux véritables page turners : la bio qui fleure bon le soufre et les restes d’églises brûlées Mayhem – Les Archives de La Mort ainsi que la somme Behemoth – Devil’s Conquistadors qui, quant à elle, suinte la sueur du Malin. Entretien avec un éditeur enthousiaste qui prend le temps qu’il faut pour sortir des ouvrages peu communs sur le fond comme sur la forme.
Ma première question est des plus classiques, mais comment et pourquoi as-tu fondé les Éditions des Flammes Noires ?
Émilien : En 2014-2015, j'ai commencé à faire des traductions pour la maison d’édition Camion Blanc. Vers 2018, j'ai proposé la traduction de la biographie de Rotting Christ. Ils étaient intéressés mais il y avait déjà pas mal de projets en cours. Ça devait donc être remis à plus tard et je trouvais ça vraiment dommage étant donné que je voyais pas mal d’ouvrages sortir dans d’autres maisons d’édition de par le monde. Je voyais un vrai marché continuer à se développer autour du livre et des musiques extrêmes. Je bossais aussi à l’époque comme prof d'anglais et en juin 2019, on m’a proposé un poste qui ne me correspondait pas du tout. J’ai donc arrêté et j’ai mis à profit le temps que j’avais pour construire le projet et y réfléchir sérieusement. En analysant les choses, je me suis rendu compte qu’il y avait une vraie appétence pour des livres en français autour de cette musique-là. À part quelques livres de chez Camion Blanc, il n’y avait pas grand-chose d’autre. J’ai donc créé la boîte fin 2019 et en mars 2020 je sortais le livre sur Rotting Christ.
En France, il y a quelques maisons d’édition qui sont orientées sur la musique comme Le Mot et Le Reste, Castor Musique ou encore celle dont on vient de parler, à savoir Camion Blanc. Cette dernière a un peu pignon sur rue pour tout métalleux qui aime lire. Est-ce que tu les vois comme des concurrents qui pourraient éventuellement te rendre la tâche difficile sur certains titres ?
Émilien : C’est clair que c’est la bagarre (rires). Non, plus sérieusement, pas du tout. Je pense qu’on est vraiment complémentaires. Je suis très content d’avoir pu bosser pour Camion Blanc parce qu’ils m’ont fait confiance dans les propositions que je leur ai faites concernant les ouvrages à traduire et ça m’a aussi permis de me lancer. Mais si je prends leur exemple, on ne propose pas le même type d’ouvrage. Eux ont leur format dédié qui est le A5 avec une mise en page et une typographie spécifique. Je préfère pour ma part avoir des œuvres moins standards avec des formats complètement différents qui s’adaptent aux textes et aux illustrations. On essaie à chaque fois d’avoir des livres qui sont uniques. Il y a une différence également au niveau des volumes. Eux peuvent se permettre de sortir plus d’exemplaires. On peut aussi souligner qu’ils ne font pas que dans le métal. Ils traitent de rock, de reggae, d’électro… Tout ça fait qu’on a des fonctionnements complètement différents.
Donc le premier bouquin que tu sors, c’est en plein début du COVID. Est-ce que c’est quelque chose qui t’a découragé ou au contraire ça t’a aidé puisque beaucoup de gens ont dû se tourner vers des activités à domicile comme la lecture ?
Émilien : Ni l’un ni l’autre en fait parce que comme j’en étais à mes débuts, j’avais tout à apprendre. J’ai donc pu me plonger à 100% dans le projet, les traductions, les relectures, les formations en ligne… J’étais happé là-dedans et n’ai pas vu le temps passer. Le fait que ça ait été le confinement n’a pas changé grand-chose pour moi parce que j’aurais de toute façon dû procéder de la même manière en temps normal. Mais c’est vrai que d’un côté ça m’a aidé parce que les gens étaient beaucoup plus sur les réseaux sociaux, ce qui facilitait la communication. Les gens étaient aussi en recherche de nouveautés et achetaient plus facilement. D’ailleurs depuis la fin du COVID l’activité a diminué. L’inflation et une augmentation des frais de port sont aussi passées par là donc on peut comprendre que les gens se concentrent plus sur des coups de cœur au niveau de leurs achats.
Quand tu prends tous ces facteurs et que tu y ajoutes une augmentation assez substantielle du prix du papier, et donc une certaine crise du livre, comment on s’en sort quand, comme toi, on propose quelque chose d’aussi pointu ?
Émilien : Ce n’est pas simple. Il faut faire des choix. J’ai déjà allongé la durée des précommandes, ce qui permet de financer une grosse partie des coûts d’impression. J’ai aussi réduit drastiquement le volume. À titre d’exemple, j’avais imprimé 2.000 exemplaires du livre sur Mayhem, mais pour les prochains je devrais tourner autour des 300 ou 400. Il vaut mieux rester prudent surtout si on voit que la consommation diminue derrière. Un trop gros stock ne sert à rien. On limite la casse et on trouve des trucs qui marchent comme la présence sur des festivals ou dans des salons. Les gens peuvent voir les livres et les feuilleter, ce qui fait qu’ils sont plus facilement convaincus que via internet.
Tu serais ouvert au format numérique ou tu ne veux rester que dans les publications papier ?
Émilien : Je vais y réfléchir mais la réalité est que les « métalleux » sont très attachés au format physique. J’ai très peu de demandes par rapport à du dématérialisé. Qui plus est, j’essaie de proposer des bouquins qui sont beaux avec beaucoup d’illustrations et une mise en page soignée comme dans le Behemoth – Devil’s Conquistadors ou l’ouvrage sur le death metal finlandais Rotting Ways to Misery. On essaie vraiment d’intégrer des images au sein du texte pour créer une ambiance, ce qui se perdrait avec du numérique.
À l’avenir tu envisagerais de t’ouvrir à un domaine un peu plus large ou tu veux vraiment rester un interlocuteur pour le public métal ?
Émilien : Je resterai a priori là-dedans parce que c’est une musique qui me passionne, mais si quelqu’un vient avec une idée qui sort un peu du métal extrême, on peut y réfléchir. Par contre il faudrait que ça touche tout de même de près ou de loin l’esthétique ou la philosophie du genre.
Parmi les livres que tu as sortis jusqu’à présent, y en a-t-il un dont tu es particulièrement fier ?
Émilien : La question piège. Mais je les aime tous sans ça je ne les aurais pas publiés. Un prochain va paraître sur le death hollandais, c’est pareil, c’est mon travail en termes de traduction et de mise en page. Mais j’ai un affect particulier pour le premier que j’ai sorti, celui sur Rotting Christ, même s’il n’est pas joli parce que c’est le titre sur lequel j’ai tout appris et qui a essuyé les plâtres.
Ta maison d’édition ne propose que des traductions ou il y a aussi des ouvrages originaux ?
Émilien : On a des ouvrages originaux comme la série sur le black metal écrite par Pierre Avril et qui verra cinq tomes paraître avec à chaque fois un illustrateur différent. On a aussi le livre Furie Arménienne de Maxence Smaniotto et François Martin ainsi qu’un livre d’art qui est celui de Jeff Grimal dont j’apprécie beaucoup le travail.
Si on prend l’exemple d’une traduction que tu aimerais sortir aux Éditions des Flammes Noires, quelles sont les démarches à suivre concrètement ?
Émilien : On doit tout d’abord voir qui a les droits sur le texte et le(s) contacter pour savoir si ces droits sont disponibles pour une version en français. Ensuite on se met d’accord sur les royalties que ces ayants droit toucheraient sur la version traduite. On définit un nombre d’années pour la réalisation du projet et aussi pour son exploitation. Lorsqu'on a tout ça, on s’attaque à la traduction et quand celle-ci est terminée, on part dans un très gros travail de relecture. On communique autour du livre quand on a imprimé et on déclare les personnes qui ont pris part à la réalisation de l’ouvrage.
Pour ce qui est de la vente de tes livres, tu ne passes que par ton site ou tu es distribué via des librairies ou commerces ?
Émilien : C’est du cas par cas. On a eu une discussion pour avoir une vraie distribution nationale via des gros points de vente ou des librairies mais le problème était que pour être présent, on devait être capables de faire des volumes beaucoup plus importants. Et quand je vois que la consommation ne va pas en progressant, j’ai préféré prendre du recul par rapport à ça et continuer à maintenir la chose plutôt que m’endetter de trop si les ventes ne suivaient pas. À court terme ce n’était pas pertinent. Maintenant je suis toujours ouvert si des disquaires ou des libraires veulent vendre nos livres. Généralement on fait des bonnes remises aussi parce qu’on sait qu’il faut que tout le monde prenne une marge.
J’ai compris que tu préférais rester discret par rapport à tes prochaines sorties mais de manière plus générale, il y aurait des choses que tu voudrais accomplir dans le futur avec les Éditions des Flammes Noires, des bouquins que tu rêverais de sortir ?
Émilien : Pour rebondir sur la première partie de ta question, je reste discret sur ce qu’on va sortir parce qu’on n’est jamais à l’abri d’un retard. J’ai eu des précédents où je n’ai pas très bien géré le calendrier entre l’annonce, la mise en place des préventes et la sortie effective. Donc tant que les choses ne sont pas vraiment bien avancées, je ne communique pas trop dessus. Sinon dans ceux que j’aimerais vraiment sortir, il y a un bouquin sur Obituary mais qui est en projet. Pour le reste, si j’avais la possibilité de faire quelque chose par rapport à Darkthrone, je sauterais dessus parce que j’adore ce groupe. Ils doivent avoir plein de choses à raconter, un certain humour et un sens de l’auto-dérision donc ça pourrait être très intéressant.